Fascinante Louise Bessette

Sylvie Prévost
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Le parfum suave d’un siècle passé

Sylvie Prévost – Les saisons ne sont pas un titre majeur dans l’œuvre de Tchaïkovski. Écrites à la demande d’un éditeur pour être publiées chaque mois pendant un an, certains n’hésitent pas à les qualifier d’œuvre alimentaire. C’est oublier un peu vite le talent de mélodiste du compositeur et sa sensibilité extraordinaire, qui lui permettent de dépeindre en quelques pages l’atmosphère tellurique de chaque mois de l’année.

On peut imaginer sans peine la joie de recevoir chaque mois une autre de ces jolies pièces, de la déchiffrer sans infiniment de peine, de lui donner son caractère et de la jouer en soirée en bonne et douce compagnie. Tout le XIXe siècle est là, du moins pour une certaine classe sociale. Il est parfois bon de laisser sans réponse les grandes questions existentielles pour simplement goûter l’air du temps.

Pourtant, aussi légère et sentimentale que paraît cette musique, elle n’en regorge pas moins de bijoux harmoniques et de subtilités qu’une excellente pianiste comme Louise Bessette ne peut que mettre en valeur. Mains qui s’échangent des motifs ou qui se répondent, phrasés intelligents, rythmes et rubatos qui soutiennent admirablement le propos, tout concours à ce que chacune de ces charmantes pièces brille un moment puis cède la place.

Le « Clair de lune » qui a suivi est tout aussi fascinant. Léger et délicat, sans mièvrerie, il semble retrouver une fraîcheur que lui avaient ravie des écoutes répétées sous les mains d’innombrables pianistes. Il s’est achevé dans une évanescence bleutée rarement aussi réussie.

Les pièces d’Alkan et de Grieg, deux compositeurs de la même époque que Tchaïkovsky, poursuivent la soirée grosso modo comme elle a commencé, dans la même veine romantique. Le premier est reconnu pour écrire de la musique extrêmement difficile, ce qui ne transparaît absolument pas chez Bessette. La mélodie flotte au-dessus d’harmonies complexes qui apportent beaucoup à la profondeur de l’expression.

«Au printemps» de Grieg, offre le défi de donner d’abord la mélodie à la main gauche, puis à quelques doigts de la main droite. Brillamment rendue par Bessette, elle reste cristalline et légère, parfaitement détachée. «De la jeunesse» fait alterner des moments de gravité et de joie excitée dans une sorte de contemplation bienveillante, et «Jour de noces» fait de même entre liesse populaire et intimité. Toutes deux pleines de caractère elles sont aussi extrêmement texturées, que ce soit dans l’harmonie ou dans le traitement du rythme. On passe de l’épaisseur solide à la légèreté en un clin d’œil, d’un rythme égal à une effarante asymétrie.

Quelle belle soirée dans le XIXe siècle ! Quelle chance de le voir s’épanouir sous les doigts d’une pianiste dont la sensibilité et l’intelligence sont à même de nous faire goûter toute la subtilité de cette musique !

Louise Bessette, pianiste

P.I. Tchaïkovski : Les saisons; C. Debussy : Suite bergamasque, «Clair de lune»; C.V. Alkan : Trente chants, 4e suite op. 67 no 1 “Neige et lave”; E. Grieg : Morceaux lyriques, op. 43 no 6 “Au printemps”, op. 65 no 1 “De la jeunesse”, op. 65 no 6 “Jour de noces”; A. Piazzolla : Adios Nonino.

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