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Alexandra Girard – Sur les tablettes des librairies du Québec s’est déposé, le 2 mai dernier, un livre qui recadre avec beaucoup d’éloquence un concept qui fait jaser. La liberté de presse, la liberté pour tous écrit par Claude Robillard trace le portrait d’une presse souvent accusée de dérapages et de discours qui dérangent, mais « avant d’être gentille et propre de sa personne, la presse doit défoncer les murs du silence ».
Claude Robillard, ancien secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), livre avec cet ouvrage une analyse étoffée sur l’état de la liberté de presse au Québec. D’emblée, dès les premières lignes, l’auteur pose les jalons du contexte juridique et politique, d’ici et d’ailleurs, entourant cette notion. À la lecture de l’aliéna 2b) de la Charte canadienne, on comprend que la liberté d’expression, intrinsèquement liée à la liberté de presse, concède à chaque citoyen le droit fondamental de s’exprimer librement en utilisant le moyen de communication qu’il souhaite, tel que la presse, par exemple. Voilà « qui permet à des milliers de publications d’exister au Québec, de toutes tailles et de toutes natures », indique celui qui a quitté la FPJQ en 2014. Et c’est la coexistence de médias différents, de cette concurrence entre ces derniers, qui les font évoluer, a-t-il ajouté.
L’auteur indique que la Charte canadienne protège toutes les formes d’expression sauf celle, bien entendu, de la violence physique. Toutes les opinions peuvent être exprimées. Il en va de même pour la liberté de presse qui ne se résume donc pas qu’à la publication d’écrits intelligents, mais aussi à des propos absurdes, faux et dérangeants. On pense notamment aux attentats survenus le 7 janvier 2015 à Paris dans les locaux de Charlie Hebdo où douze personnes ont été abattues par des terroristes qui n’avaient pas apprécié les caricatures de Mahomet publiées dans le journal satirique. Le débat international était lancé : pouvons-nous réellement tout dire?
« Les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo sont des critiques sur l’Islam qui peuvent aider à contester des choses qui n’ont pas de bon sens. Les débats qui choquent sont salutaires, car ils permettent d’avancer », a dit l’auteur, lors du lancement de son livre, le 4 mai. Charlie Hebdo n’est pas allé trop loin. Les caricatures de Mahomet exprimaient des critiques à l’égard de l’Islam, il était possible de ne pas être en accord avec le contenu de ces caricatures, mais l’important était que ce contenu puisse être publié en toute liberté. « Il faut encourager la vie de débat », a déclaré l’auteur. À un autre extrême, le cas Keegstra, décrivant un professeur d’école secondaire en Alberta qui a proféré des propos antisémites, problématise encore plus considérablement cette idée de pouvoir tout dire. L’homme a été inculpé pour propagande haineuse, et avec raison, mais cette décision entre en contradiction avec l’essence même des libertés d’expression et de presse.
« Les limites de la liberté de presse sont exceptionnelles », mais elles sont bien réelles, ajoute Robillard. Sur le terrain, les journalistes en font l’expérience fréquemment dans l’exercice de leur fonction : interdiction d’enregistrer ou de prendre part à des évènements publics, par exemple. Il arrive de plus, explique l’auteur, que le journaliste entache la réputation de certaines personnalités publiques afin de livrer des faits véridiques. Un geste qui peut lui valoir des poursuites judiciaires pour diffamation ou atteinte au droit à la réputation. Les journalistes se confrontent aussi parfois à l’intimidation de poursuites-bâillons qui les incitent par la menace judiciaire à l’autocensure. Il est question également parfois de boycottage de la presse. L’auteur souligne notamment celui du maire de Saguenay, Jean Tremblay, auprès de Radio-Canada en 2010 pour avoir tenu des propos critiques à son égard.
La censure s’installe dans la peur. Une même inquiétude pousse les sources confidentielles des journalistes à ne plus témoigner par crainte d’être retracée. Un flou juridique plane autour de cette notion : cette pratique tente d’assurer une sécurité aux sources dévoilant des informations d’intérêt public en taisant leur identité, mais la Cour suprême n’en reconnaît pas le privilège constitutionnel. La raison est simple : il serait difficile d’accorder à un groupe aussi mal défini cette prérogative, car tout le monde peut se dire journaliste au Canada. C’est « un citoyen comme un autre aux yeux de la loi », précise Robillard. Le journaliste garde ainsi son indépendance, sans préséance sur ses concitoyens, car il travaille avant tout à faire jaillir la vérité des débats qu’il suscite.