Loi 106

Valérie Lépine
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Feu vert à l’exploitation pétrolière

Valérie Lépine – Les travaux parlementaires de l’Assemblée nationale ont pris fin le 10 décembre dernier sur fond de polémique : c’est à ce moment qu’a été adoptée la controversée Loi sur les hydrocarbures après que le gouvernement Couillard eût imposé le bâillon. Sans surprise, l’industrie pétrolière et gazière a accueilli favorablement l’adoption de cette loi. Mais la loi 106 inquiète bien des représentants de la société civile puisqu’elle donne beaucoup de pouvoir à l’entreprise privée, contient beaucoup de flous juridiques et fait peu de place à la protection de l’environnement.

Les libéraux ont justifié l’adoption du bâillon en affirmant que le temps alloué pour l’étude du projet de loi 106 avait été suffisant et qu’il était « urgent » d’adopter une loi qui permet la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030. Ce qui fut fait le 10 décembre, après une nuit de débats : 62 pour; 38 contre.

Mais la Loi concernant la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives, surtout pour ce qui est des articles traitant de la Loi sur les hydrocarbures, avait été vivement critiquée par nombre d’organismes dès sa présentation sous forme de projet le 6 juin 2016. Greenpeace, Coalition Saint-Laurent, le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec, le Barreau du Québec, le Regroupement vigilance hydrocarbures Québec ainsi que nombre d’élus municipaux, de représentants autochtones, de groupes citoyens et d’experts ont tous dénoncé la loi en tout ou en partie.

Le 10 décembre, les partis d’opposition auraient d’ailleurs voulu diviser le projet de loi pour adopter la partie traitant de la politique énergétique, mais pour poursuivre le débat sur la partie traitant des hydrocarbures. Cette proposition a été rejetée par les libéraux.

Analyse de la Loi sur les hydrocarbures

Pour comprendre la portée de la Loi sur les hydrocarbures, Richard E. Langelier, juriste et sociologue, a décortiqué son contenu lors d’une conférence à l’UQAM le 14 juillet 2016. Intitulée Le projet de loi sur les hydrocarbures : quelques enjeux sociaux et environnementaux1, cette présentation avait été organisée par le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec2. Bien que quelques amendements aient été faits au projet de loi le 10 décembre dernier, l’essentiel des articles clés de la loi sont demeurés inchangés. Les propos de Richard Langelier demeurent donc pertinents aujourd’hui.

  1. Langelier trace un portrait assez sombre des conséquences possibles de cette loi. Il a même dit avoir lu des milliers de lois dans sa vie, mais n’avoir jamais lu une loi comme celle-là.

Voici les grandes lignes des réflexions de Richard Langelier :

  • La Loi sur les mines et la Loi sur les hydrocarbures auront préséance sur les schémas d’aménagement des MRC, ce qui rendra les Municipalités incapables de « planifier un développement pérenne qui reposerait sur autre chose que les hydrocarbures ou les mines ».
  • La Loi 106 modifie le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, qui fait en sorte, selon M. Langelier, que les Municipalités perdront toutes compétences en ce qui a trait aux puisements d’eau réalisés pour des projets miniers, pétroliers ou gaziers3.
  • L’ensemble des articles de la Loi sur les hydrocarbures donnent beaucoup de pouvoirs à l’entreprise privée et font peu de cas de l’intérêt public.
  • Plusieurs articles font référence au concept de « meilleures pratiques généralement reconnues », ce qui est synonyme d’autorégulation par l’industrie. M. Langelier a rappelé que ce concept d’autorégulation avait résulté à 47 morts à Lac-Mégantic en 2013.
  • Dans plusieurs des articles de la loi, on mentionne que les normes, approbations, exigences, mesures de sécurité ou redevances seront fixées par règlement. Or, ces règlements n’ont pas encore été établis. Cette loi a donc été adoptée sans connaître sa portée réelle. C’est dans ce contexte que Richard Langelier a déclaré que cet état de fait était « l’illustration saisissante d’un État vidé de ses compétences intellectuelles par deux décennies de coupures et qui improvise lamentablement ». Le Barreau du Québec avait d’ailleurs fait paraître un mémoire le 8 septembre 2016 dans lequel il constatait aussi que « les nombreuses références à la réglementation à être adoptée [font en sorte] qu’il est difficile, à plusieurs égards, d’apprécier la portée de ce projet de loi. »
  • Cette loi donne des pouvoirs immenses aux ministres.
  • Certains des articles de cette loi, entre autres celui donnant le droit d’expropriation, donnent la prépondérance d’accès et d’usage aux compagnies pétrolières et gazières par rapport aux propriétaires privés ou aux agriculteurs.
  • L’inscription au registre foncier de la localisation des puits aura un impact sur la valeur des propriétés.
  • Sans compter une foule d’autres considérations telles que l’absence de protection des milieux marins et la limitation de l’accès à l’information.

L’avènement d’une pétro-économie

  1. Langelier a terminé son allocution en disant que la Loi sur les hydrocarbures est l’aboutissement législatif d’un long processus qui traduit un projet politique d’ensemble, jamais présenté publiquement, qui lève tous les obstacles à l’avènement d’une pétro-économie.

Ce processus, commencé avec l’exploitation des gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent suivi de l’avortement du moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste, puis de l’accord donné à l’inversion de la ligne 9B d’Enbridge et de la formation d’une société mixte pour l’exploration pétrolière et gazière sur Anticosti (financée en grande partie par le gouvernement), trouve son aboutissement dans la Loi 106. Pour compléter ce programme, il reste maintenant, selon l’expert, à permettre la construction d’une usine de liquéfaction et d’un port pétrolier, l’approbation du pipeline Énergie Est et la mise en chantier d’un oléoduc reliant la Gaspésie à Anticosti. « Les besoins de structures qui accompagnent le développement de la filière de production imposent de tels choix », de conclure Richard Langelier.

Déni de la démocratie

Dans une lettre intitulée Loi 106 : un déni de la science et de la démocratie et publiée le 19 décembre 2016, après, donc, l’adoption de la loi 106, le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste ajoute sa voix à celle de M. Langelier et dénonce « l’absence de légitimité scientifique de la décision gouvernementale d’adopter une loi comportant une contradiction interne flagrante (entre transition énergétique et développement des hydrocarbures) » et s’inquiète face à la « sourde et incompétente dynamique politique où commencent à s’articuler entre eux divers éléments de législation et de réglementation, comme autant de verrous complaisants en faveur de filières inacceptables. »

  1. Lien à cette conférence: www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/fr/accueil/index.php/conferences/ conferences-collectif/conferences-2016
  2. Le Collectif regroupe 170 scientifiques de différents champs disciplinaires. Il s’est donné pour mission initiale en 2011 d’exercer une vigile critique sur le projet de développement de la filière du gaz de schiste et a élargi sa veille critique à la question plus globale des hydrocarbures. Site web: www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/fr/accueil/
  3. «La quantité exacte d’eau requise pour une fracturation hydraulique varie selon les conditions locales, mais les chiffres les plus souvent évoqués oscillent entre 10 et 25 millions de litres d’eau par puits». Source: www.partagedeseaux.info/Le-gaz-de-schiste-et-l-eau
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