La gestion de l’eau

Gestion de l'eau
Étienne Robidoux

Toujours pas une priorité

Étienne Robidoux – Des attestations qui se font attendre, des Municipalités en infraction, des rapports qui tardent, une lenteur gouvernementale : Fondation Rivières déplore plusieurs lacunes dans les dossiers du traitement des eaux au Québec. « Il faut que le gouvernement se ressaisisse et accorde à la gestion de l’eau une priorité », estime Alain Saladzius le président de Fondation Rivières.

Les bilans de performance des ouvrages municipaux d’assainissement des eaux usées de 20171 et de 20182 n’ont été publiés que l’année dernière. Les bilans antérieurs étaient produits annuellement par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), et ce, jusqu’en 2013. 

La responsabilité de surveillance a ensuite été transférée au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). De 2014 à 2016, ce ministère n’a produit aucun rapport sur la performance des stations d’épuration. On a dû patienter jusqu’en juin 2020 pour mettre la main sur leur premier bilan en la matière.

Dans ces rapports, on apprend qu’en 2018, il y a eu 49 579 débordements comptabilisés, comparativement à 57 347 en 2017. Le nombre élevé de déversements en 2017 serait dû aux fortes précipitations. En 2018, 16 % des déversements d’eaux usées s’expliquaient par un contexte d’urgence, de temps sec et de travaux planifiés. La pluie et la fonte de la neige représentaient quant à eux 84 %. 

L’inventaire le plus récent de la Fondation Rivières fait état de 60 663 déversements en 2019, et tient compte des déversements de plus faible durée (moins de 12 minutes), ce que ne présente pas le MELCC dans ses statistiques. 

Il est cependant difficile pour le grand public de bien comprendre ces rapports, fait remarquer Alain Saladzius, cofondateur et président du Conseil d’administration de la Fondation Rivières. En effet, les données sont disséminées dans des annexes, ce qui en rend la lecture ardue. 

C’est pourquoi l’organisme s’affaire à développer une plateforme qui présentera clairement les données sur les performances pour chacune des stations d’épuration au Québec. 

Carte interactive

En septembre dernier, la Fondation Rivières a rendu publique une carte interactive3 qui présente le nombre, l’intensité et la durée des déversements d’eaux usées en 2019 pour chacune des municipalités du Québec4

Développée en collaboration avec l’École des médias de l’UQAM, cette carte illustre visuellement les données publiées par le MELCC entre 2011 et 2019.

Absence d’enregistreurs électroniques obligatoires

Les ouvrages de surverse sont des installations qui déversent directement les eaux usées dans les cours d’eau lorsque les stations d’épurations ne peuvent traiter l’ensemble des eaux usées qui leur sont acheminées. Tous ces ouvrages sont dans l’obligation d’être dotés d’un enregistreur électronique de débordements (EED), compte tenu du règlement provincial datant de 2014. Cet appareil enregistre la fréquence des débordements et de leur durée. 

Or, 22 % des ouvrages de surverse de la province n’ont toujours pas d’EED. Pourtant, aucune Municipalité n’a reçu la sanction de 2 500 $ prévue à cet effet au règlement. En 2018, 1 487 déversements ont eu lieu en temps sec au Québec, bien que cela soit interdit par la loi. Les seuls déversements tolérés sont ceux en cas de pluie, de fonte, de contexte d’urgence ou de travaux planifiés.

Un « électrochoc »

Annoncées depuis 2013, les premières attestations d’assainissement municipal (AAM) ont été distribuées en janvier dernier par le MELCC. Celles-ci sont nécessaires pour que le gouvernement vérifie si les stations d’épuration et les réseaux d’égouts sont conformes aux normes. Elles permettent aussi d’identifier quels sont les correctifs à apporter, tels que la déphosphatation (afin de réduire le phosphore rejeté), et fixent un délai raisonnable pour s’y conformer.

« Aussi incroyable que cela puisse paraître, les Municipalités ne sont pas tenues de garder à jour un schéma d’écoulement de leur réseau », écrit M. Saladzius dans un échange de courriel. Le MELCC demande aux Municipalités de mettre elles-mêmes à jour toutes les données du système. En attribuant les AAM, c’est le gouvernement provincial qui se charge d’examiner chaque ouvrage d’assainissement des eaux usées afin de communiquer aux Municipalités les correctifs qui doivent être apportés, au besoin.

Pour le moment, seulement 19 attestations auraient été attribuées sur les 823 stations d’épuration de la province5. L’opération se poursuivra jusqu’en 2026. « C’est un délai beaucoup trop long, soutient M. Saladzius. Tout pourrait et devrait être fait en deux ans avec l’ajout de peu de personnel ».  

Les attestations pour les Villes de Prévost, Piedmont et Saint-Sauveur sont prévues en janvier 2024. Les prochaines ne seront pas livrées avant janvier 2022.

« On veut causer un électrochoc au gouvernement pour qu’il se ressaisisse et qu’il bouge », lance M. Saladzius au téléphone, qui déplore que le gouvernement ait préféré uniquement développer son portail web plutôt que d’effectuer davantage d’actions concrètes comme celle-ci. 

« On veut qu’il y ait une réorganisation au ministère de l’Environ-nement et celui des Affaires municipales pour que les problèmes les plus importants soient priorisés », explique M. Saladzius. À ce chapitre, il se désole que même si d’importants investissements ont été injectés pour le remplacement de tuyauterie, trop peu d’actions aient été faites pour lutter contre les déversements répétitifs. 

Du renfort

La Fondation Rivières engagera son premier biologiste le premier avril prochain, Philippe Maisonneuve. Cette « recrue de prestige » se chargera entre autres d’étudier les effets cumulatifs des déversements des eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent.

1. www.environnement.gouv.qc.ca/Eau/eaux-usees/ouvrages-municipaux/bilan-performance-omaeu-2017.pdf  

2. www.environnement.gouv.qc.ca/eau/eaux-usees/ouvrages-municipaux/bilan-performance-omaeu-2018.pdf

3. https://deversements.fondationrivieres.org/map.php

4. www.jdc.quebec/2020/10/18/nos-rivieres-et-nos-municipalites/

5. https://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/eaux-usees/ouvrages-municipaux/aam.htm

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