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L’esprit persistant de la Clique du Château
Daniel Machabée – La langue française et le Québec sont indissociables. Chaque fois qu’on l’attaque, qu’on la bafoue, il y a quelque chose qui nous atteint profondément, nous, les héritiers de la Nouvelle-France.
On apprenait dernièrement que malgré la majorité francophone et la loi 101, certaines gens parviennent tout de même à vivre toute leur vie au Québec sans jamais apprendre ni parler le français, langue officielle, langue nationale. Il y a eu le PDG d’Air Canada, il y a aussi celui de SNC-Lavalin, fleuron de notre industrie et combien d’autres ! On peut ajouter la nouvelle gouverneure générale du Canada qui baragouine deux mots de français pour faire taire les plus virulentes critiques concernant son unilinguisme. Enfin, il y a ce professeur de l’Université Mc Gill qui ne peut s’exprimer en français avec l’administration et ses collègues sans qu’il passe pour un extrémiste et un raciste. Faut-il être surpris d’ailleurs de cette institution ? Lecteurs, retournons deux siècles en arrière, à une époque trouble de notre histoire.
La Loi constitutionnelle de 1791 séparait le Canada en deux entités distinctes, le Haut et le Bas Canada, et leur octroyait à chacun un gouvernement législatif élu, mais non pas de responsabilité ministérielle. Ainsi pendant près de quarante ans, les luttes politiques n’ont cessé de s’envenimer au Bas-Canada entre les francophones majoritaires, les anglophones désirant un gouvernement responsable et les anglophones orangistes s’y opposant, ce qui conduisit aux Rébellions de 1837-1838, au rapport Durham et à l’Acte d’Union de 1840.
Sur le plan politique, deux grands partis se faisaient la lutte : le Parti patriote et le Parti bureaucrate, communément appelé le Tory party. Attardons-nous sur celui-ci. Depuis le régime britannique de 1763, c’étaient les marchands et les bourgeois anglais qui dominaient la vie politique au Bas-Canada. Ils acquirent une immense influence après la Guerre de 1812 avec les Américains. Parmi ces gens influents, nommons les plus connus : John Molson et James Mc Gill. Indéniablement, ces deux hommes contribuèrent grandement au développement de la ville de Montréal, l’un en fondant une prestigieuse université, l’autre une brasserie et une compagnie de bateaux à vapeur. Cependant, de manière générale, ces gens cherchaient l’assimilation de la majorité francophone à la culture anglaise, prônaient l’abolition du système seigneurial, le remplacement du droit civil par la loi commune anglaise et le remplacement du culte catholique par le culte anglican. D’autres noms de sinistre mémoire peuvent être évoqués ici : Jonathan Sewell, président du Conseil législatif du Bas-Canada, Jacob Mountain, archevêque anglican de Québec, Horacio Gates, banquier, William Dow, autre brasseur, Edward Bowen, juge en chef.
À Québec, où la garnison britannique était toujours importante, faisant de la vieille capitale une ville majoritairement anglophone à cette époque, un bourgeois anglais, Thomas Cary, fonda le journal The Quebec Mercury en 1805, journal qui deviendra l’organe du Tory Party. Thomas Cary voyait la montée de la classe moyenne francophone et sa majorité à l’Assemblée législative comme une menace pour l’hégémonie des commerçants anglophones. Pour répondre à ses attaques, on fonda l’année suivante Le Canadien, journal patriote.
Tous ces bourgeois et ces marchands conservateurs se rencontraient au Château Saint-Louis, résidence du gouverneur, d’où leur surnom de Clique du Château. Les membres, nommés par le gouverneur possédant alors le pouvoir exécutif, conseillaient celui-ci sur les questions politiques locales et contrôlaient les finances, sans jamais tenir compte des demandes et revendications de l’Assemblée élue. En outre, cette coterie s’employait énergiquement à contrer les efforts de Pierre-Stanislas Bédard, premier chef du Parti canadien, l’ancêtre du Parti patriote, afin d’obtenir la responsabilité ministérielle dès 1810 et, plus concrètement, à mettre en place une politique favorisant les intérêts de la minorité anglophone en combattant avec acharnement l’existence même du fait français. C’est ainsi que dès le début des années 1820, ils soutinrent avec vigueur le projet d’union des deux Canada. Ces luttes se radicalisèrent avec l’arrivée de Louis-Joseph Papineau et des refus de Londres de donner à la majorité francophone le contrôle de son propre gouvernement dans les années 1830.
Ces tentatives d’assimilation et d’éradication de la culture francophone sont toujours présentes de nos jours, comme un furoncle au milieu du front. Ceux qui portent cet étendard le font en toute connaissance de cause et se moquent de toute imputabilité les concernant, puisqu’il y a une terrible et dangereuse indifférence sociale. Et malheureusement, il y aura toujours, parmi les sociétés, des collaborateurs, des traîtres et des profiteurs. La France a eu le régime de Vichy; le Bas-Canada a eu ses chouaguens, prononcé vulgairement chouayens, épithète péjorative donnée aux couards français du Fort Chouaguen lors de la guerre de Sept Ans. Ils étaient les petits seigneurs, les nouveaux bourgeois arrivistes, la nouvelle noblesse canadienne-française, qui agissaient purement par intérêts économique et personnelle. Aujourd’hui, ils sont députés, dirigeants d’entreprises, anti-nationalistes, anglophiles. N’est-il pas navrant de mettre encore nos énergies à défendre notre existence même en tant que peuple afin que la langue de nos pères puisse encore être parlée sur notre propre territoire et de constater que le gouvernement du Québec n’impose pas ses propres communications en français seulement ? Combien faudra-t-il de Camille Laurin ou de Guy Rocher pour dissoudre une fois pour toute l’esprit subsistant de cette Clique du Château ? Donnons le dernier mot à l’acteur français Fabrice Luchini, dont nos dirigeants devraient s’inspirer pour leur politique linguistique : « Je n’ai jamais vu nulle part une telle résistance, un si fort génie de vitalité pour la langue. C’est un peuple qui a été lâché par la France et qui se bat pour préserver sa culture. »