Mots et mœurs

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Gleason Théberge
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Seize?

Gleason Théberge -Quand nous vérifions n’importe quelle quantité d’objets, nous ne nous étonnons pas des quelques incohérences des mots que nous avons appris à énumérer machinalement. Les chiffres qui produisent les nombres ne sont intéressants que pour l’usage que nous en faisons, sauf peut-être ceux qui décrivent les très grandes quantités, dont nous sommes incapables de différencier de valeurs comme mille, milliard, million, billions et trillions. Ils sont pourtant issus comme nous de codes génétiques pluriels mais ayant tous comme ancêtre commun le corps humain.

Les doigts des deux mains ont ainsi généralement fait dominer une logique de dix chiffres (si le zéro est inclus) prolongés en autant de dizaines : trente, quarante… Certaines pratiques européennes ou d’autres civilisations comme celle des Mayas y ajoutaient les orteils pour des calculs basés sur le nombre vingt. En français, on en retrouve aujourd’hui une trace avec les quatre-vingts et quatre-vingt-dix, que concurrencent, entre autres en Belgique, l’octante (80) et le nonante (90), mais aussi le septante (70). 

Mais une autre logique prévaut toujours avec les heures de jour ou de nuit, dont le douze provient de la totalité des trois sections osseuses de chacun des quatre longs doigts d’une main, appelées phalanges, sur lesquelles se reportait le pouce en guise de manière de compter sans avoir à rien écrire. En reportant à chaque compte complet sur les cinq autres doigts de l’autre main, on en arrive au 60 des minutes et des secondes : cinq fois douze, multiplié par six, qui produit le 360 des degrés du cercle, presque exactement le nombre de jours de l’année.

S’il y a sans doute là une explication à l’usage du soixante-dix, au lieu du septante, une autre variable est encore à souligner. Après les dix chiffres de base, certains systèmes utilisent en effet des expressions comme dix-undix-deux, formulées diversement selon les langues, surtout asiatiques. Dans les langues d’origines européennes, cependant, immédiatement après dix, on pratique d’abord une inversion en un-dixun-deux. En français, ce dix provient du decim latin transformé en ze, de onzejusqu’à seize. Dans les langues germaniques, sous la seule influence du douze, l’allemand utilise aussi l’inversion à partir du dreizehnt (trois-dix), tout comme l’anglais à partir du thirteen (13), et ce, jusqu’à l’équivalent du vingt. En français, comparativement, on retrouve la structure dominante dès le dix-sept. En espagnol, c’est avec le diesicéis (16) que disparaît l’inversion du dix, utilisée de once (11) jusqu’à quince (15).

On constatera, de plus, que malgré l’adoption canadienne du système métrique, nous conservons au Québec, une partie du système dit imperial issu de la Grande Bretagne, en mesurant encore douze pouces au pied; et en divisant le pouce, en 16 parties. À mon avis, on peut trouver dans cette symétrie du seize une première raison qu’en français la séquence dix+chiffre ne commence qu’à partir du dix-sept

Ajoutons pourtant que comme la particularité du seize est de provenir d’une augmentation régulière de 2, 4, 8, 16, plusieurs anciennes civilisations considéraient seize ans comme l’âge de la fin de l’adolescence. Certaines y voyaient une image des trois âges de l’enfance, de la motricité (2 ans) à l’accession à la parole (4 ans), et à la raison (huit ans). Certaines législations contemporaines accordent d’ailleurs le droit de vote dès après seize ans.

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