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L’Assemblée nationale, une histoire de notre institution parlementaire [1]
Daniel Machabée – En 1877, on posa la première pierre de ce qui allait devenir l’Hôtel du Parlement, qu’on désigne de nos jours par l’Assemblée nationale et que Maurice Duplessis, au faîte de sa gloire, nomma « le Salon de la race ». Gardienne de notre mémoire collective, cette institution est un joyau architectural où s’exerce la pérennité de notre démocratie.
Cet édifice, inscrit au patrimoine des lieux culturels du Québec en 1984, est un lieu étonnant, épatant et empli d’histoire. Pour ceux qui comme moi ont eu la chance d’y travailler, le souvenir de cet endroit et la majesté des lieux demeurent profondément ancrés dans l’imaginaire. Retour sur les origines de cette institution québécoise, dont l’ensemble est de style néo-renaissance Second Empire avec des toits en mansardes et des statues retraçant l’histoire du Québec sur toute sa façade.
Édifices parlementaires précédents
Il faut remonter à l’Acte constitutionnel de 1791 pour que le Québec, alors dénommé Bas-Canada, reçoive les décrets royaux pour la création d’une chambre de députés élus. Ainsi, le 17 décembre 1792, s’ouvrit la première législature du Bas-Canada, ce qui fait du parlementarisme québécois celui dont le siège en continu, donc sans interruption, est plus vieux du monde ! Puisque sous la Nouvelle-France on ne retrouvait pas de députés élus, le premier édifice à recevoir la chambre des députés élus était le Palais épiscopal de Québec, situé à la Haute-Ville sur la Côte de la Montagne, en face de la basilique-cathédrale de Québec, endroit où se trouve aujourd’hui le parc Montmorency. Construit dans la pente, une partie de l’édifice comprenait trois étages alors que les autres parties en comptaient deux. L’édifice, alors résidence de l’évêque de Québec, était loué par la province du Bas-Canada. La Chambre des députés logea alors dans la chapelle, pendant que le Conseil législatif tenait ses séances dans une pièce au second étage et que le gouverneur, représentant le Conseil exécutif, logeait également dans l’édifice.
Très vite, cependant, les députés s’aperçurent de la vétusté de l’endroit. En effet, le Palais épiscopal, rénové après le bombardement de Québec lors du siège de la capitale en 1759, demeurait une vieille bâtisse inadaptée pour recevoir les débats de l’assemblée des 90 députés élus. Même si le Château Saint-Louis existait encore à cette époque, il n’était pas approprié pour recevoir ce genre d’institution. Ni même son voisin immédiat. En 1784, le gouverneur Frederick Haldimand fit construire le château du même nom à proximité du Château Saint-Louis, et devint le siège du gouvernement colonial de la Province of Quebec entre 1786 et 1791 ; il deviendra plus tard le siège de l’Assemblée législative de la Province du Canada-Uni de 1860 à 1866. On parle ici du parlement canadien, et non québécois. D’ailleurs, il déménagera dans son édifice tout neuf en 1867 à Ottawa. Mais n’allons pas trop vite.
Donc, dès 1826, la Chambre de députés négocia avec l’Archevêché de Québec pour rénover le Palais épiscopal et l’acheter. L’offre est acceptée en 1831. Les travaux débutèrent en 1833 ; la chapelle fut démolie pour faire place au corps principal de l’Hôtel du Parlement, qui abritait alors les deux chambres et les bureaux gouvernementaux. Les parlementaires y siégèrent jusqu’en 1838, année de la suspension des pouvoirs de la législature à cause des Rébellions, où le Conseil spécial du Bas-Canada fit office de la législature temporaire jusqu’en 1841 et déménagea les séances à Montréal.
Les derniers vestiges du Palais épiscopal furent démolis en 1851 lorsque l’Hôtel du Parlement fut de nouveau rénové afin d’abriter le Parlement du Canada-Uni. Celui-ci brûlera dans le célèbre incendie de 1854, entraînant avec lui la perte de la moitié de la collection de la bibliothèque de l’Assemblée, soit plus de 17 000 volumes.
Le projet de monsieur Eugène-Étienne Taché
Avec la création du Dominion en 1867, la ville de Québec redevint une capitale politique. Ainsi, le siège du gouvernement, ses ministères et ses fonctionnaires revinrent de nouveau sur le Cap Diamant. Ils s’installèrent dans l’ancien édifice du Parlement du Canada-Uni, soit à côté des ruines du premier Hôtel du Parlement, qui fut par la suite le bureau de Postes de la Haute-Ville. Dès 1869, on songea à construire un nouvel édifice. Le gouvernement choisit d’abord l’emplacement des Jardins des Jésuites, l’actuel Hôtel de Ville. En présentant ses plans, l’architecte désigné du projet, Eugène-Étienne Taché, déclara ne pas avoir assez de place pour ériger à cet endroit un édifice digne et grandiose. En 1876, suite aux recommandations de Taché, le gouvernement du Québec fit l’acquisition des terrains du Cricket Field situés à l’extérieur des fortifications. Satisfait, Taché adapta ses plans définitifs et les déposa en 1877. Les travaux pouvaient débuter.
Le nouvel Hôtel du Parlement fut érigé en deux temps, entre 1877 et 1886. Les trois ailes destinées à recevoir les bureaux de l’exécutif, du législatif et du lieutenant-gouverneur furent érigées entre 1877 et 1880. Le Palais du corps législatif, qui devait loger l’Assemblée législative et le Conseil législatif, fut construit entre 1883 et 1886. En 1885, les députés purent enfin siéger dans le nouvel édifice. En 1888, l’horloge de la tour fut installée à son tour.
L’expansion de la Colline parlementaire
Entre 1910 et 1925, peut-être jaloux de la construction du Château Frontenac qui dépassa en beauté et en hauteur l’Hôtel du Parlement, les gouvernements Gouin et Taschereau aménagèrent une véritable cité administrative autour de l’Hôtel du Parlement afin d’accueillir les différents ministères ainsi que la bibliothèque du Parlement. Ainsi furent élevés l’édifice Pamphile-LeMay, celui du Parlementaire qui accueillit le restaurant, et l’aile de l’édifice Honoré-Mercier qui abrita les bureaux du Premier ministre jusqu’en 1972.
En 1930, l’architecte Raoul Chénevert proposa d’agrandir la cité parlementaire. Deux nouveaux édifices furent bâtis, les édifices Jean-Antoine-Panet en 1931 et 1932 et André-Laurendeau entre 1934 et 1937 pour les ministères respectifs de l’Agriculture et de la Voierie. Si on exclut la construction du furoncle de la laide bâtisse du Bunker, il n’y eut aucune autre modification à la Colline parlementaire jusqu’en 2016. Cette année-là, l’Assemblée nationale se lança dans le plus vaste chantier de son histoire touchant l’Hôtel du Parlement depuis sa construction en 1877. Le projet d’agrandissement, terminé en 2019, permit de moderniser l’institution en y ajoutant un Pavillon d’accueil sous-terrain et de rendre plus conviviales les visites.
L’Hôtel du Parlement : un lieu de mémoire extraordinaire
Eugène-Étienne Taché ne fut pas simplement l’architecte du Parlement. Il avait une véritable vision de ce que devait être l’édifice et ce qu’il devait représenter. Outre l’inscription de la devise du Québec sur sa façade (voir autre texte), Taché mit en branle un vaste projet commémoratif, dont la réalisation s’étira jusqu’en 1969. En faisant appel à des sculpteurs de renom, c’est tout un panthéon de personnages marquants de notre histoire qui montent la garde devant la façade de l’Hôtel du Parlement. En tout, 26 statues s’y retrouvent, autant de vigies dont le rôle est de nous rappeler nos origines et nos exploits. De nos jours, dans le même esprit de commémoration, on peut apercevoir tout autour de l’Assemblée nationale les statues de certains premiers ministres du Québec qui ont eu un impact sur notre histoire. La dernière en date est celle élevée en 2006 en l’honneur de Robert Bourassa. Aucun premier ministre depuis ne s’est assez démarqué pour en mériter une. Citons pour cela une anecdote. Selon le journaliste J. Jacques Samson, en parlant de Jean Charest, « on peut déjà conclure qu’il ne méritera jamais plus qu’une statue de cire, le temps d’une canicule, pour voir fondre toutes les attentes qu’il avait créées avant son élection en 2003 ». Que cela est bien dit !
À l’origine, l’Assemblée nationale était constituée de deux chambres : la Chambre basse, ou Assemblée législative (Salon bleu) et la Chambre haute, le Conseil législatif (Salon rouge), genre de sénat québécois. En 1968, le gouvernement de Jean-Jacques Bertrand abolit cette dernière. C’est également à cette époque que l’Orateur de l’Assemblée nationale devint le Président. Il y a tellement d’histoires, de légendes, de débats houleux, d’anecdotes, de mythes mêmes qui se cachent dans les murs de l’Assemblée nationale, qu’un détour en vaut la peine. Que ce soit pour satisfaire une curiosité historique, pour marcher dans les pas des hommes qui ont fait notre Histoire, pour s’horrifier devant les trous de balle laissés par le caporal Lortie le 8 mai 1984 ou pour s’émerveiller devant la richesse historique et architecturale de l’édifice, chacun y trouvera son compte. Et peut-être entendrez-vous le fantôme de l’Orateur Bernard Bissonnette qui ouvrit la XXIe législature du Québec le 7 janvier 1941 avec ces mots : « À l’ordre, Messieurs ! Que les portes soient ouvertes ! »
[1] L’auteur a travaillé au sein de la Reconstitution des débats politiques.