- 30 octobre 1940 - 18 octobre 2024
- Le samedi de la matraque - 18 octobre 2024
- Sauvez Paris - 21 septembre 2024
De la nécessité historique d’une réforme du mode de scrutin
Daniel Machabée– Chacun a son interprétation des résultats de l’élection provinciale du 3 octobre dernier. Une chose est certaine, notre système parlementaire est inéquitable, non représentatif, désuet, archaïque. On le voit de plus en plus dans le taux de participation qui a été de seulement 66 %. Dans notre système politique aux multiples partis, le citoyen se demande à quoi sert son vote s’il n’est pas représenté. On ne peut qu’être d’accord avec lui. Faisons un peu d’histoire, si le lecteur le veut bien.
L’Acte constitutionnel de 1791 : les débuts du parlementarisme
La Révolution américaine et la conclusion de celle-ci ont amené un choc migratoire sans précédent dans notre histoire. En effet, l’arrivée des Loyalistes sur notre territoire, sujets britanniques fidèles à la Couronne anglaise, changea le rapport de force des groupes linguistiques installés au Canada, jusqu’alors à très forte majorité francophone. Ces loyalistes demandèrent rapidement par pétition la création d’une Chambre d’assemblée représentative. Londres adhéra à leur demande et adopta une nouvelle constitution : L’Acte constitutionnel. Cette loi divisa la Province of Quebec en deux : Le Haut et le Bas-Canada. En 1791, on recensa au Bas-Canada 144 000 francophones sur une population totale de 160 000 habitants, soit 90 % de la population totale, alors que le Haut-Canada n’avait que 15 000 habitants, tous anglophones. Aux premières élections, sur les 50 députés élus au Bas-Canada, 16 étaient anglophones. Ils représentaient donc 32 % de la députation. Dès cette époque, on le voit, le système était déjà biaisé ! De plus, ajoutons que ce système était bourré de lacunes : les députés n’avaient aucun pouvoir réel, car le gouverneur, représentant du Roi, avait un droit de veto sur les projets de loi. Les membres du Conseil législatif et du Conseil exécutif n’étaient pas élus; ils étaient nommés par le gouverneur et étaient tous des anglophones. Le Conseil exécutif, qui gérait le budget de la colonie et appliquait les lois, n’avait aucun compte à rendre aux députés. Toutes ces lacunes allaient accentuer les luttes pour la responsabilité ministérielle et culminèrent aux Rébellions de 1837-1838.
La responsabilité ministérielle de 1848
Après l’Acte d’union de 1840 qui unissait les deux Canadas en mettant désormais les francophones en situation de minorité politique, les demandes incessantes pour obtenir la responsabilité ministérielle furent finalement écoutées par Londres. La colonie de la Nouvelle-Écosse fut la première à recevoir la responsabilité ministérielle, quelques semaines avant le Canada-Uni en 1848. Puis suivront les colonies de l’Île-du-Prince-Édouard en 1851, du Nouveau-Brunswick en 1854 et de Terre-Neuve en 1855. Les contemporains, dont Cartier, La Fontaine et Baldwin, croyaient enfin stabiliser la gouvernance. Mais jusqu’en 1867, les élections amenèrent plutôt une grande instabilité politique, car, faute de majorité, les gouvernements changèrent souvent. L’arrivée de L’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867 amena enfin cette stabilité politique où chaque province eut son propre gouvernement élu à la mode du parlementarisme britannique.
Les consultations sur le mode de scrutin
Pendant un siècle, les Québécois ne se questionnèrent aucunement sur la pertinence du mode de scrutin dans un système majoritairement bipartite. Tout changea à partir des années 1970 avec l’entrée en scène de tiers partis. Le gouvernement libéral de Robert Bourassa fut le premier à aborder le sujet en commission parlementaire, mais sans plus. Le gouvernement péquiste de René Lévesque fut le premier à consulter le public sur la question. Mais dans l’optique où les Québécois diraient oui à leur indépendance, le sujet était plutôt sur la forme que prendrait le nouvel État : républicain. Au tournant des années 2000, le gouvernement de Bernard Landry convie les Québécois à une vaste réflexion sur les institutions démocratiques qui échoua aux oubliettes à cause du changement de gouvernement. Le gouvernement de Jean Charest a ensuite soumis un projet de révision du mode de scrutin, soit un avant-projet de loi. L’idée faisait alors un bon bout de chemin. Puis, fort de l’appui du Parti québécois et de Québec solidaire, le gouvernement de François Legault déposa le projet de loi 39 sur la réforme du mode de scrutin.
Pourquoi ce projet de loi n’a-t-il pas abouti ? La réponse est très simple. Le but d’une réforme du mode de scrutin est de redonner confiance à la population dans la chose politique. Or, chaque fois qu’un parti politique ayant passé de longues années dans l’opposition arrive au pouvoir, sa volonté politique fond comme neige au soleil. Pourquoi changer un mode de scrutin qui l’avantage ? Ç’a été vrai pour les libéraux pendant longtemps; c’est vrai dorénavant pour les caquistes. Ça serait vrai aussi pour n’importe quel parti dans notre système actuel. En 1998, Jean Charest obtient plus de voix que Lucien Bouchard et perd malgré tout les élections. Ç’a été vrai aussi pour les élections de 1966 où Daniel Johnson prend le pouvoir malgré un écart de 7 % de moins des voix !
Il est urgent de réformer le mode de scrutin nominal à un tour. Il y a trop de distorsion et cela augmente le cynisme de la population envers la politique et le gouvernement. Dans une démocratie, jamais un gouvernement n’obtiendra un appui de 100 %. Mais est-il normal que presque 40 % des voix obtenues par trois partis politiques n’obtiennent que 14 députés ? La CAQ a obtenu 41 % des voix et 90 députés ! Et que dire des libéraux qui obtiennent 21 députés malgré un appui à 6 % chez la majorité francophone ? Il est urgent que tous les partis obtiennent une juste représentativité à l’Assemblée nationale afin que nous ayons une démocratie saine. Faut-il pour autant renoncer à la liberté dans nos sociétés démocratiques comme certains le prétendent ? Concluons en citant Alexis de Tocqueville dans son ouvrage De la démocratie en Amérique : « Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l’égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté ».