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Le Code Napoléon devient le Code civil
Daniel Machabée – « Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil.1 »
La sortie du film du cinéaste américain Ridley Scott sur la vie de Napoléon Bonaparte ramène à l’avant-plan ce personnage incontournable non seulement de l’histoire de la France, mais également de l’Histoire elle-même. Les Anglais le détestaient et le craignaient autant que la pire des calamités. Arbitre de l’Europe dont il a fait son terrain de jeux de prédilection, général ambitieux et toujours vainqueur, empereur des Français, libérateur des peuples, il a fait de la papauté son pantin. Génie militaire, le « petit Corse », « l’Ogre », le « petit caporal » ne sont là que quelques-uns des sobriquets qu’on lui donnait. Indéniablement, Napoléon Bonaparte a laissé une marque indélébile dans son sillage. Au-delà du conquérant, cet homme a fait bien plus pour la société que tous les rois européens qui ont régné sur leurs royaumes pendant mille ans. Faisons, si vous le voulez bien, un voyage à cette époque extraordinaire du Premier Empire pour connaître le legs de ce personnage hors du commun.
L’expédition d’Égypte
Fort de ses victoires dans les campagnes d’Italie qui assuraient à la France du Directoire une paix bien méritée après des années de guerre qui ont bien vissé en France les acquis de la Révolution, le général Bonaparte, rêvant d’être le Alexandre le Grand de son époque, émet au gouvernement le projet de barrer la route des Indes aux Anglais en conquérant l’Égypte pour contrôler le passage vers la mer Rouge ainsi que la route du Moyen-Orient. Heureux d’éloigner un adversaire populaire et redoutable, le Directoire lui donne carte blanche pour son expédition d’Égypte. Ce qui est particulier avec cette campagne, c’est que son but n’est pas seulement militaire. En effet, c’est également une expédition scientifique puisque 167 scientifiques, botanistes, historiens, linguistes et dessinateurs accompagnent l’armée pour découvrir les richesses de l’Égypte, alors province de l’Empire ottoman.
Après avoir débarqué à Malte, la flotte française arrive treize jours plus tard à Alexandrie. C’est le début de la grande aventure où le génie militaire de Bonaparte permet à ses troupes de conquérir rapidement l’Égypte et la Terre sainte. Partis en 1798, les Français resteront trois ans en Égypte. Pendant son séjour, Bonaparte a laissé profondément la marque de l’Occident sur la région : l’Institut d’Égypte (qui existe encore) est créé afin de propager les idées des Lumières, l’administration est semblable à celle en France, des savants font un tableau comparatif des poids et mesure, un alphabet français-arabe est créé, des journaux sont imprimés, etc. Une des trouvailles les plus étonnantes de cette expédition est celle de la pierre de Rosette qui permettra à Champollion de traduire les hiéroglyphes vingt ans plus tard, malgré le fait que les Anglais s’en soient emparés en 1801.2 En somme, cette expédition a fondé une nouvelle science : l’égyptologie et aura permis à l’Occident de renouer avec cette vieille civilisation presque oubliée.
L’administration de l’État
Selon sa propre formule, Napoléon a façonné les « masses de granit » de l’administration française. En 1800, alors Premier consul, il crée les préfectures qui bouleversent l’administration des pouvoirs locaux. Si le découpage du territoire en départements est effectué par les révolutionnaires, il impose le préfet comme mode de gouvernance efficace dans tout le pays. Il fonde également les grands corps de l’État : Le Conseil d’État pour les secteurs législatifs et administratifs, la Cour de cassation pour la justice et la Cour des comptes pour les finances. Tous ces corps administratifs existent non seulement encore de nos jours en France, mais plusieurs pays ont calqué le modèle français pour les ajuster à leurs institutions. Il crée également une nouvelle monnaie : le franc français qui restera en vigueur jusqu’à l’adoption de l’euro. Aussi, il signe avec la papauté le Concordat en 1801 qui permet la liberté de culte, paix religieuse qui n’existait pas en France depuis la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685 !
Le Code civil
Les lois civiles, autant en France qu’ailleurs en Europe, étaient au début du XIXe siècle un ramassis de traditions orales, de vieux textes adaptés du droit romain et du code Justinien mal traduits du latin ou d’une quelconque langue obscure et vernaculaire. Depuis 1793, soit depuis le jour un de la Première République française, les députés avaient l’ambition de rassembler toutes les lois civiles du pays en un seul codex. Projet ambitieux qui trouva son aboutissement dans la volonté extraordinaire de Napoléon de doter la France d’un code civil simplifié. En 1804, alors que tous les gouvernements royaux et révolutionnaires précédents avaient échoué, la révolution juridique qui organise pour la première fois les relations entre l’État et les citoyens voit le jour. Toute la vie civile est ainsi encadrée dans le Code civil des Français, que l’on nommera par la suite le Code Napoléon : l’organisation de la famille, le mariage, la propriété, l’héritage, etc. Ce code de lois, bien qu’amender avec les changements sociaux, est toujours en vigueur aujourd’hui en France et, bien entendu, au Québec. En fait, plus de la moitié des 2281 articles d’origines ont été conservés encore aujourd’hui.
L’organisation et l’embellissement des villes
Dans sa manie militaire de tout organiser, Napoléon est le premier homme d’État moderne à penser à améliorer sensiblement l’organisation et la propreté des villes dans une époque où la Révolution industrielle s’installe partout en Europe, amenant avec elle pollution, surpopulation et délabrement. Ainsi, il est le premier à instaurer un éclairage urbain efficace ainsi qu’un système de collecte des ordures et à paver les rues pour rendre les cloaques de Paris praticables. Également, il est le premier à numéroter les rues pour rendre plus efficace la collecte des impôts et la poste.
C’est aussi à Napoléon Bonaparte que l’on doit l’embellissement de sa capitale, mais également de nombreuses autres villes de France. On peut penser à l’Arc de Triomphe, à celui du Carrousel, la Madeleine, la colonne Vendôme. Il fait construire trois nouveaux ponts sur la Seine, ouvre le lieu de repos du Père-Lachaise, car « chaque citoyen a le droit d’être enterré, quelle que soit sa race ou sa religion », créé la Banque de France et ouvre le Palais Brongniart pour y installer la Bourse. Il réorganise également le système d’éducation en créant les lycées et surtout le baccalauréat. Enfin, c’est grâce à Napoléon que l’on doit les premières tentatives de sauvegarde des vestiges de l’Empire romain à Rome. Annexée à l’Empire en 1809, Rome occupe une place de choix dans sa vision de l’organisation de l’Europe comme en témoigne son décret : « Les restes des monuments élevés par les Romains seront entretenus et conservés aux frais de notre trésor.3 » C’est également à Napoléon que l’on doit le premier corps professionnel de pompiers-sapeurs, et encore plus étonnant, le choix stratégique de faire conduire les voitures tirées par les chevaux à droite de la rue !
La méritocratie
Un autre héritage indélébile sur nos sociétés occidentales est sans aucun doute ce qu’on appelle la méritocratie. Héritage de la Révolution française qui avait aboli l’ancienne société où la naissance déterminait votre rang social, Napoléon est le premier à instaurer une bureaucratie civile et militaire où l’avancement se base sur les services rendus à la nation et non pas par les hasards de la naissance. Si tous les hommes naissent désormais égaux, seuls leur mérite, leur succès et leur travail acharné déterminent alors leur rang dans la société. Il ne faut donc pas s’avouer ignare des causes des immenses succès des armées napoléoniennes et l’efficacité bureaucratique française à l’époque. En effet, imaginez l’effet motivateur sur un individu, peu importe sa condition sociale, si on lui dit que le plus simple des roturiers peut devenir quelqu’un dans la société où les ruines des trois ordres et des privilèges sont encore très chaudes !
Napoléon Bonaparte est probablement l’homme qui a suscité le plus d’ouvrages, de recherches et de polémiques dans toute l’Histoire moderne. Son héritage est colossal autant sur la société que sur les gouvernements. Les frontières de l’Europe modernes, pour la plupart, ont été tracées au Congrès de Vienne de 1815 après les guerres de Napoléon. Il a réussi à implanter les idées de la Révolution française, la liberté civile, cette méritocratie presque partout dans les pays d’Europe qui ont combattu la France révolutionnaire. Il est dommage que le monde anglo-saxon le dépeigne comme un tyran assoiffé de sang et un mégalomane barbare. Peut-être sont-ils encore en colère qu’un homme parti de rien fut arrivé au trône impérial et imposé les idées d’une Révolution qu’ils ont tant honnie, alors qu’eux ont imposé leur manière de penser dans le monde au moyen des pires barbaries.
- Phrase dictée au marquis de Montholon en 1815 à Sainte-Hélène.
- La pierre de Rosette est aujourd’hui exposée au British Museum.
- Cité dans La conservation des monuments antiques à Rome sous Napoléon, Ferdinand Boyer, 1943.