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La série Canada : The Story of Us
Marc-André Morin – J’ai vécu dix ans au Canada anglais. J’ai été député fédéral de Laurentides-Labelle. Je connais l’histoire du Canada, sa géographie et ses habitants. Dans la série documentaire Canada : The Story of Us, le Us, signifie un Nous, qui ne concerne qu’eux, les Anglais. C’est une histoire à dormir debout.
La série Canada : The Story of Us, produit et diffusé par CBC depuis le 26 mars, nous est racontée par des vedettes sympathiques, qui rayonnent chacun dans leur discipline; la danse, le cinéma, le sport, etc., mais certainement pas pour la connaissance de notre histoire.
La série documentaire en dix épisodes s’inscrit dans la programmation des événements soulignant les 150 ans de la Confédération. Mais il n’y a rien à célébrer ici, il s’agit plutôt d’un récit ponctué d’insultes à l’intelligence et d’ignorance de notre passé pourtant courageux, fait de témérité, d’ambition et de formidable capacité d’adaptation.
Par où commencer pour exprimer mon indignation face à autant de mépris, d’omissions, de mensonges et de préjugés ? Par le commencement. Samuel de Champlain, navigateur, explorateur, cartographe et géographe officiel du roi Henri IV, était un grand voyageur qui avait vu les ravages faits dans les colonies espagnoles. Il avait été traumatisé par le traitement infligé aux autochtones des Antilles et d’Amérique Centrale. Il rêvait de fonder un nouveau monde, basé sur le respect et la collaboration avec les peuples autochtones. Un véritable révolutionnaire humaniste. Loin d’être la brute sale et négligée que dépeignent les quelques minutes qui lui sont consacrées dans le premier épisode de la série.
Pour décrire les douze à quinze mille ans qui précédèrent l’arrivée des Européens, une dizaine de minutes, c’est un peu court. On ignore tout des modes de vie millénaire des premiers habitants de ces terres, de leur culture ou de leurs valeurs. Ceci explique peut-être comment, aujourd’hui, les autorités canadiennes arrivent à perdre la trace de mille cinq cents femmes disparues ou tuées, sans trop s’en préoccuper…
Deux ans de bombardement
C’est vrai, la bataille des Plaines d’Abraham n’a pas duré longtemps. Mais le bombardement des fermes et la destruction des récoltes des colons par la flotte anglaise a duré deux ans. En 1759, Québec ressemblait étrangement à Alep, Mossoul ou n’importe quelle ville assiégée par un ennemi impitoyable, aux ressources militaires disproportionnées, sans considération pour les civils. La France, qui n’avait plus ni les moyens ni la volonté de défendre les Canadiens français, avait refusé toute l’aide réclamée par la Nouvelle-France depuis des années. Plus soucieuse de conserver ses plantations de canne à sucre dans les Antilles que de défendre ses colons, ce qui fût confirmé par la signature du traité de Versailles en 1783. Ainsi, le champ était laissé libre aux Anglais qui n’avaient qu’à cueillir le fruit de 150 ans de labeur des colons, des coureurs des bois canadiens-français et de leurs alliés autochtones.
Où est l’hommage aux coureurs des bois ?
Dans cette pitoyable farce historique, pas un mot sur les milliers de jeunes hommes, coureurs des bois de la vallée du Saint-Laurent, qui ont développé tout le centre de l’Amérique, de Montréal à Banff et de Santa Fe à Inuvik. Ils ont fondé Saint-Louis, Détroit, Saint-Paul. Aujourd’hui, lorsque vous rencontrez un Sioux ou un Cri de l’Ouest, vous avez de bonnes chances que ce soit un Lessard ou un Ledoux. Parfois, on voit leur nom autochtone traduit comme Lahache, Laboucane. Même après la conquête et la vente de la Louisiane par la France aux Américains, ils ont continué leur travail de développement et d’exploration. Les Américains ne connaissaient ni l’étendue ni la nature du territoire qu’il venait d’acquérir. C’est Toussaint Charbonneau et sa femme Sagawea qui ont conduit les chefs d’expédition Lewis et Clark, les premiers à traverser les États-Unis jusqu’au pacifique en 1805. Lorsque la cavalerie américaine s’est lancée à la poursuite du grand chef Sitting Bull, c’est chez Jean-Louis Légaré, un francophone de Saskatchewan, qu’il a trouvé refuge pendant deux ans avec ses huit cents guerriers.
Pierre Esprit Radisson est mon héros. Il a survécu à plusieurs naufrages en regagnant la rive à la nage. Capturé deux fois par les Iroquois, il a gagné leur respect en survivant à chaque fois à des séances de torture intensives de plusieurs jours. Les Iroquois, ainsi que toutes les autres nations, lui ont reconnu un statut de brave entre les braves. Sa parole était reconnue par tous, un sens de l’honneur alors inconnu en Europe. S’il a décidé de commercer avec les Anglais en fondant la Compagnie de la Baie d’Hudson, la première compagnie à charte au monde, c’est tout simplement par dégoût des aristocrates français, qui exploitaient les coureurs des bois et les colons, en transposant le système féodal en Amérique. Canada : The Story of Us en fait un traître aux allures de quêteux.
À cette époque, c’était nous, les Canadiens ! Ces nobles et autres messieurs venus de France nous voyaient comme rebelles et ensauvagés, comme les Anglais qui nous ont méprisés plus tard et continuent de le faire aujourd’hui avec cette série soi-disant documentaire. Mépriser l’histoire, c’est mépriser les faits et les gens qui les ont vécus. Ça sert à les déshumaniser et à nier leur dignité. C’est pratique, pas d’Acadiens pas de Métis, pas de déportation, pas de vol des terres. Juste une entreprise de relations publiques des Canadians, payée avec nos taxes et présentée par le premier ministre Justin Trudeau lui-même, qui visiblement n’a pas misé sur la bonne histoire pour souligner les 150 ans de la Confédération et promouvoir une réconciliation nationale.