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Trio Hochelaga : de la dynamite
Sylvie Prévost – Comment trois personnes peuvent-elles générer autant d’énergie ? On aurait dit que le volume de la salle s’était multiplié par cent !
Le Trio Hochelaga a plongé son public dans le XVIIIe siècle par cette rencontre magnifique avec trois compositeurs au sommet du romantisme.
De Kirchner, qui gagnerait à être mieux connu, nous avons entendu quatre Novellettes, tirées de l’opus 59. Courtes pièces pleines de caractère, elles dépeignent avec intensité des paysages sonores divers. La première semble mettre la table pour tout le reste de la soirée par sa vitalité et sa passion. La seconde est un dialogue élégiaque entre les instruments à cordes. La troisième fait plus de place au piano et elle est marquée par un rythme de danse appuyé. Dans la quatrième, le violon et le violoncelle chantent, alors que le piano tend à l’arrière-plan l’atmosphère d’une rencontre amicale, sorte de mise en abîme du concert de ce soir.
Les Quatre Fantasiestücke qui suivent reprennent en miroir des situations semblables, en les traitant à la Schumann – de façon plus complexe. Les dialogues évoluent vers l’intrication, le rythme, presqu’un personnage en soi, tend vers la joie ou devient inexorable, les discussions à trois voix sont plus touffues.
Dans cette première partie, on est de plain-pied dans la pensée musicale de cette époque. Plus descriptive chez Kirchner, plus tortueuse chez Schumann, l’expression forte d’émotions et de personnalités se double de l’abandon des développements prévisibles du classicisme. Un espace nouveau semble s’ouvrir devant l’auditoire, un immense territoire à la fois stimulant et inquiétant, dans lequel les musiciens nous plongent sans concession. Ils pourraient nous y noyer, mais non : nous voilà qui nageons à leur côté, parfaitement soutenu, à travers les infinies textures de l’interprétation, par une pensée et une sensibilité musicales sûres.
C’est au retour de pause, avec Brahms, que le concert atteint son apogée. Mouvance extrême des atmosphères, tourbillonnements entre sérénité et passion dans le premier mouvement, second mouvement plus chanté, aux intonations par moment tziganes, troisième mouvement à l’image de la nature : vif ruisseau qui court, vastes prairies qui se déploient, animaux furtifs… vies diverses qui se partagent le même espace. Le quatrième mouvement explose en une joie profonde, ardente et puissante, qui nous transporte.
Ce que j’en dis, c’est ce que les musiciens m’ont inspiré. C’est un merveilleux voyage qu’ils nous ont offert avec l’art consommé de ceux qui ont approfondi leur recherche et qui ne craignent pas de perdre pied, ni du point de vue technique, ni de l’aspect de l’interprétation. Il s’est produit ce soir-là un phénomène qu’il faut vivre pour le comprendre : une sorte d’expansion de la salle, qui prend des proportions de vaisseau voguant sur les flots et les lames de l’expérience humaine pleinement assumée. Le Trio Hochelaga s’est distingué par la générosité avec laquelle il nous a abreuvés de musique et l’énergie bienfaisante dont il a rempli tout l’espace de la salle et de nos cœurs.
Le samedi 17 mars 2018 : Trio Hochelaga – Anne Robert, violon; Chloé Dominguez, violoncelle; Jimmy Brière, piano. T. Kirchner : Novellettes, op. 59; R. Schumann : Quatre Fantasiestücke pour violon, violoncelle et piano en la mineur, op. 88; J. Brahms : Trio pour piano et cordes no2 en do majeur, op. 87.