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Parler
Gleason Théberge – Certains mots évoquant des actions courantes offrent des significations rapprochées. On les dit synonymes, mais s’ils se sont maintenus dans l’usage, c’est à cause précisément des nuances qui les différencient. Cette richesse d’expression, qui nous embarrasse parfois, fait encore de nos jours du français une langue de diplomatie et de littérature. Or, employer l’un pour l’autre ne convient pas toujours, même si cela n’inquiète pas certains, souvent sous l’influence de l’anglais.
C’est le cas notamment de parler et dire, qui se distinguent sans qu’on en tienne parfois compte. Sauf dans les raccourcis courants comme parler affaires ou parler météo (qui abrègent parler d’affaires, de météo), le fait de parler n’implique habituellement pas le contenu des propos. Il s’agit simplement d’utiliser la parole, dans le sens large que précisent ses synonymes bavarder (parler de propos sans gravité), dialoguer (parler avec d’autres, au théâtre, par exemple), baragouiner (tenir des propos confus), gueuler (s’exprimer d’une voix forte et parfois colérique). Ce qu’on peut parler, c’est une langue : parler le français, l’espagnol ou l’anglais… Et s’il s’agit d’enrichir son propos, on ajoute un complément introduit par une préposition : on parle devant une foule, s’adresse à un passant pour être guidé, s’étonne de telle nouvelle inhabituelle, s’entretient de nouveaux projets avec des collègues de travail…
Au contraire, dire et ses synonymes les plus proches impliquent, eux, le propos. On dit la vérité, déclare qu’on a bien dormi, décrit la maison de ses rêves, souhaite que l’été soit chaud (mais pas trop), chante les beautés de la nature, raconte ses activités de la fin de semaine, murmure un secret à l’oreille d’une personne de confiance… Et c’est confondre les deux types de verbes que de déclarer que quelqu’un nous a parlé que le prix de l’essence allait baisser, alors que ce qu’on a entendu c’est quelqu’un nous parler d’une baisse du prix de l’essence ou qu’on nous a dit que l’essence allait coûter moins cher.
À cette confusion, issue d’une incompréhension des verbes dire et parler, en usage dans toute la francophonie, s’ajoute l’utilisation au Québec des verbes jaser et ostiner, qui relèvent de la langue familière. Jaser, chez nous, c’est l’équivalent du causer neutre, l’associant au verbe parler. La différence entre la langue neutre et la langue familière excluant celle-ci de la langue écrite, on dira donc (sans normalement l’écrire dans un texte destiné à un large public) qu’on a jasé une bonne partie de la nuit de nos projets d’été avec nos amis, et non pas qu’on a jasé que chacun passerait ses vacances à l’étranger.
Quant à ostiner, qui concerne aussi le fait de parler, il s’agit d’une variante très locale du verbe s’obstiner, qui s’emploie pour marquer une volonté de continuer dans une voie improbable, alors que notre ostiner relève d’une discussion sans issue où chacun maintient ses positions, parfois sans que ni l’un ni l’autre ne s’aperçoive qu’ils disent la même chose en des propos différents.