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Petite incursion au sein du peuple bangladais
Valérie Lépine – Frédérick Lavoie est un journaliste indépendant originaire de Chicoutimi. Il a publié au cours des dernières années quelques livres qui traitent de ses expériences journalistiques en Ukraine, dans les anciennes républiques soviétiques et à Cuba. En 2017, il a parcouru le Bangladesh et a écrit Troubler les eaux suite à ses reportages dans ce pays d’Asie du Sud.
Le Bangladesh est un pays situé au nord du golfe du Bengale et est largement constitué d’un delta plat résultant de la confluence de plusieurs grands fleuves. Ses terres se trouvent en grande partie à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer. Par ailleurs, de juin à octobre, les moussons inondent le pays. L’eau est donc au centre de bien des préoccupations du peuple bangladais. Le Bangladesh est en outre aux premières loges des conséquences désastreuses des bouleversements climatiques. On calcule ainsi que si le niveau de la mer augmentait d’un mètre, 50 % de sa superficie, habitée par 171 millions de personnes, serait inondée.
Frédérick Lavoie pensait écrire son dernier livre sur les enjeux que vit le Bangladesh par rapport à l’eau : les inondations, l’irrigation, la destruction des terres arables par l’incursion des eaux salées, l’accès à l’eau potable, la gestion des eaux usées, la pollution des fleuves, etc. Il pensait même avoir trouvé son titre : Dompter les eaux.
Mais au cours de ses reportages et de ses rencontres, il a commencé à avoir un malaise. Il avait de la difficulté à saisir la vision du monde des Bangladais. « J’avais l’impression que trop de facettes de leur personne et de leur vision du monde m’avaient échappé […] pour que je puisse tirer de nos rencontres un portrait fidèle de leur rapport aux eaux. », écrira-t-il. Et il se demande : « [Est]-il possible de raconter la vie des gens qu’on [sait] avoir trop peu compris ? » La barrière de la langue, les préjugés de part et d’autre et les rapports de pouvoir (journaliste mâle occidental éduqué vs pêcheur bangladais pauvre et analphabète) avaient selon lui complètement teinté ses reportages et troublé son processus d’écriture.
La première partie de Troubler les eaux fait état des rencontres du journaliste avec les Bangladais et de leurs problèmes avec les eaux. Ces récits sont entrecoupés des nombreux questionnements qui émergent de ces rencontres. Dans la deuxième partie du livre, Frédérick Lavoie s’inspire de travaux d’anthropologues et de philosophes pour tenter de répondre à ses questions et pour tenter d’identifier les sources de son malaise. Comment instaurer une relation d’égal à égal avec les gens que l’on rencontre en tant que journaliste ? Comment rendre compte d’une réalité sans le biais des axes habituels de domination ? Comment, en tant que journaliste, concilier la sacro-sainte objectivité garante d’un certain professionnalisme et les désirs personnels qui motivent le choix de sujets ? Comment écouter la source principale de son récit – l’eau – avec les méthodes habituelles de journalisme ? Comment laisser la place aux espèces non-humaines dans les récits journalistiques ?
Bref, Frédérick Lavoie prend conscience durant l’écriture de ce récit des limites de sa profession. Il réalise que certaines façons traditionnelles de faire du journalisme oblitèrent bien des aspects de la réalité qu’elles tentent de décrire. Il en conclut que le journalisme doit porter davantage attention à ce qui est de prime abord différent, incompréhensible, inefficace, superflu tant du point de vue humain que du point de vue non-humain. Car, oui, des réflexions de l’auteur émerge une conscience écologique : « Si le journalisme ne fait pas aujourd’hui éclater les paradigmes qui ont conduit l’humanité – et les autres vivant-es – à la catastrophe écologique que nous connaissons, il aura failli à servir l’intérêt public. […] Le journalisme doit ainsi avoir le courage de penser et de faire penser ses publics au-delà de l’exceptionnalisme humain. »
Troubler les eaux est une petite incursion au sein du peuple bangladais, mais surtout une réflexion inspirante sur les limites et les défis futurs du quatrième pouvoir.
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Ce livre utilise l’écriture inclusive. Ne soyez donc pas surpris-e-s (!) d’y voir des mots comme celleux (pour ceux et celles), iels(pour ils et elles), toustes (pour tous et toutes), elleux-mêmes (elles-mêmes ou eux-mêmes), lae (pour la ou le), cellui-ci, etc.
Exemple de phrases du livre : « L’une ou l’autre acceptera de raconter son histoire a un-e jounaliste. Iel peut déjà s’attendre à ce que ce-tte bénéficiaire lui dise […] En plus de conduire lae journaliste jusqu’à ces gens, les employé-es de l’ONG… »
Voici ce que dit l’Office québécois de la langue française de ces néologismes : « Les usages [des mots comme iels, celleux et toustes] restent propres aux communautés de la diversité de genre. L’Office ne conseille pas le recours à ces pratiques rédactionnelles. » (vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca)