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« La police à l’origine de scènes disgracieuses. » Marcel Pépin du Droit
Daniel Machabée – Il y a 60 ans, soit le 10 octobre 1964, une répression sauvage de la police lors d’une manifestation contre la visite de la reine Élizabeth II à Québec est demeurée célèbre dans les annales de notre histoire. Pour les lecteurs qui trouvent notre époque bien terne, faisons un retour sur cette visite fort controversée qui plongea la police et le Québec en pleine tourmente.
Une visite royale
La reine du Royaume-Uni et de toutes les colonies affiliées du Commonwealth britannique vient au Québec afin de célébrer le centième anniversaire des conférences de Charlottetown et de Québec qui ont mené à la création du Canada en 1867. En pleine Révolution tranquille et en pleine effervescence nationaliste, cette visite royale ne plaît pas à tout le monde, surtout aux indépendantistes du Rassemblement pour l’indépendance nationale (R.I.N.) dirigé par Pierre Bourgeault. Pour la souveraine, alors âgée de 38 ans, il s’agit déjà de son quatrième voyage officiel au Canada. Accompagnée par son époux, le roi consort Phillip, cette visite devait préparer les festivités du centenaire de la Confédération trois ans plus tard.
Le 5 octobre 1964, le couple royal atterrit à Ottawa et est reçu par le premier ministre canadien Lester B. Pearson et différents dignitaires. Le lendemain, le couple visite les institutions gouvernementales, participe à des activités culturelles et officielles et est reçu au Sénat canadien, haut lieu de la sanction royale de nos lois votées par nos députés fédéraux. Le 7 octobre, ils se rendent à Toronto où ils passeront deux jours à visiter la nouvelle métropole du Canada qui vient de damner le pion à Montréal, au grand plaisir des financiers de Bay Street. Le 9 octobre, les voici qu’ils sont à Montréal où ils visitent quelques sites historiques et participent à une cérémonie en l’honneur de la communauté anglophone.
Une présence royale inopportune et dénoncée
À l’approche du centenaire de la Confédération et en plein bouillonnement de la Révolution tranquille au Québec, la question principale qui se posait à cette époque était la place des francophones au Canada. Insatisfaits de l’évolution du principe de l’égalité juridique et linguistique des deux peuples fondateurs, de nombreux nationalistes remettent en cause le pacte de 1867 et veulent obtenir davantage de droits pour les francophones, du moins un statut politique privilégié pour le Québec. Inquiet de la montée du nationalisme québécois et de ses revendications de plus en plus pressantes en matières économique, politique et linguistique, le premier ministre canadien met sur pied la Commission royale d’enquête Laurendeau-Dunton afin de trouver une solution au problème francophone et québécois. C’est dans cette optique que les indépendantistes dénoncent avec force la venue du couple royal qui représente le symbole de la colonisation britannique au Québec ainsi que la Conquête.
Le 9 octobre au soir, le R.I.N. tient une assemblée au centre Durocher dans le quartier Saint-Sauveur à Québec. Le quotidien Le Soleil titre à la Une du 10 octobre : « Le calme règne à Québec malgré quelques incidents mineurs. » Le climat, à la veille de l’arrivée de Sa Majesté, est tout autre que ce qu’en dise le journal. En effet, une grande effervescence se propage dans la ville. L’ambiance dans l’assemblée est électrique. Il fait chaud dans la salle surpeuplée et les slogans antimonarchistes fusent de partout. Bon nombre de policiers et de journalistes assistèrent à cette assemblée annonçant la tempête.
Cette foule, très jeune, ressemblait à « un embryon de peuple choisi amorçant une marche avec son Messie. Le ton des remarques se faisait volontiers prophétique chez ces étudiants, ces jeunes avocats et ces non moins jeunes travailleurs venus protester contre un « symbole1 » Au milieu des slogans indépendantistes, certains fédéralistes présents ont demandé de bien recevoir la reine, car nous ne sommes pas des sauvages. Ce à quoi Bourgeault répondit : « Précisément, c’est parce que nous ne sommes plus des sauvages que nous ne pouvons plus accepter cet affront !2 »
Malgré beaucoup de tensions, l’assemblée du R.I.N. se conclut dans le calme et Bourgault déclare qu’il « rejette toute forme de violence et menace de sanctions les membres du R.I.N. qui accepteraient de riposter à la violence par la violence3. » Les policiers interviennent au rassemblement et arrêtent Pierre Bourgault et Reggie Chartrand, un boxeur ouvertement indépendantiste. Ils sont ensuite interrogés puis relâchés, car aucune charge ne peut être retenue contre eux. Les policiers contrôleront ensuite les rues principales et effectueront quelques arrestations de manifestants un peu trop bruyants.
L’appréhension de désordres amène les autorités de la ville à demander aux forces policières d’encadrer les déplacements de la reine le lendemain. En tout, 4 000 soldats et policiers furent mobilisés afin d’assurer la sécurité de Sa majesté.
Utilisation exagérée de la force policière
L’arrivée du couple royal est attendue à 9 heures le samedi 10 octobre 1964. La première cérémonie doit se dérouler au « Salon de la race » et autour de la colline parlementaire. La reine vient alors prononcer un discours au Conseil législatif (Salon bleu) qui allait prendre une tournure ironique cette journée-là : « Mon ardent désir est que personne parmi mes peuples ne subissent la contrainte4. » Au même instant, à l’extérieur du Parlement, les premiers affrontements ont lieu entre une centaine de manifestants et les forces de l’ordre. Les deux premières arrestations se font sur la terrasse du Parlement, alors que Reggie Chartrand et Pierre Nadon se font littéralement assaillir par la police pour avoir crié : « Le Québec aux Québécois ! » Le matin, le maire de Québec, Roger Lemire, avait déclaré qu’il ne tolérerait aucune manifestation hostile à la reine; déclaration que les forces de l’ordre prirent au pied de la lettre!
La situation a ensuite dégénéré pour passer aux affrontements physiques directs. De l’Hôtel du Parlement, les manifestants se ruent vers l’Hôtel de Ville où ils réclament la libération des gens arrêtés plus tôt dans la matinée, alors que la police eût arrêté deux jeunes hommes déguisés en femme sur le pont de Québec et qui possédaient des armes à feu. Puis, les manifestants se dirigèrent vers la Citadelle, lieu de la prochaine visite du couple royal. C’est autour du bastion de la Reine, près des remparts, que d’autres affrontements violents se firent. Sur le coup, quelques journalistes furent également blessés par les coups de matraque de la police. Un producteur d’émission radio fut également matraqué par les policiers. En tombant, il cria : « Gestapo ! Gestapo !5 »
Enfin, le couple se rendit au Château Frontenac où une réception et un bal sont donnés en leur honneur. Encore une fois, des manifestants les attendent et la réaction des forces de l’ordre est brutale. Les matraques fusent et de nombreux manifestants, passants ou badauds, victimes collatérales de ces affrontements, sont blessés par l’utilisation abusive de cet instrument punitif pour les têtes dures.
Le bilan de cette journée de la matraque
Après la réception au Château Frontenac, le couple royal se retire sur le Britannia tard dans la soirée. Toute la journée, le tabassage a été arbitraire. Les policiers chargeant dans le tas de manifestants, frappant à l’aveuglette des victimes nécessairement pas au bon endroit. Même quand les manifestants se dispersent, les policiers, mus par une soif profonde de répression, les poursuivent. Voilà sans doute l’inspiration de ces paroles de la chanson Bonjour la police ! de R.B.O : ce n’est pas que l’on se plaigne de s’faire traiter de mangeux d’beignes, de bœufs, de porcs, de gros chiens sales au caractère un peu brutal…
Les journaux francophones sont unanimes et parlent d’un accueil froid ou glacial de la population à l’égard de la visite de la Reine, un contraste à 180 degrés comparativement à la dernière visite de la Reine au Québec en 1959. Également, l’utilisation de la force excessive est virulemment critiquée. Pourquoi avoir mobiliser 4 000 hommes armés pour une poignée de manifestants ? Pourquoi tant de violence pour finalement incarcérer 32 manifestants, dont des touristes de New York qui n’avaient rien à voir dans les événements? Selon les journalistes présents, si « on parle d’une foule placide, tranquille, glaciale même, c’est qu’elle était toute bottée, casquée, armée de garcettes et de matraques6. »
Ce « samedi de la matraque » est symptomatique des profonds changements sociaux qui sévissaient à cette époque au Québec alors que toute une génération demandait à trouver sa place dans une société toujours dirigée par les anglophones dont la monarchie est le symbole ultime de l’asservissement des peuples, en particulier celui du Québec, dans un régime canadien qui n’a jamais caché sa volonté d’assimilation, voire d’extinction.
1. Le Soleil, 10 octobre 1964.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. L’Action, 12 octobre 1964.
5. Dimanche-Matin, 11 octobre 1964.
6. Le Droit, 26 février 2013.