L’élection étonnante de 1976

Photo: Archives Le Devoir En 1976, le Parti québécois prenait le pouvoir pour la première fois.
Daniel Machabée
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« On est pas un petit peuple; on est peut-être quelque chose comme un grand peuple ! »

Daniel Machabée – « La seule chose que nous avons à craindre, c’est la peur elle-même. » Franklin D. Roosevelt

Aucune élection de l’histoire du Québec n’a suscité autant de réactions et d’enthousiasme que celle qui a porté le Parti québécois au pouvoir le soir du 15 novembre 1976. Si on voulait faire une comparaison, on pourrait la comparer à l’élection de Barack Obama, tant elle a suscité l’espoir et l’enthousiasme. Jamais le soir d’une élection n’a-t-on vu autant de gens festoyer dans les rues que ce soir du 15 novembre 1976. Dans une époque dépourvue de bonnes nouvelles, et pleine de gueules de bois et de platitudes chroniques, retour sur cette élection qui a profondément marqué l’histoire du Québec.

Le contexte social en 1976

Les libéraux de Robert Bourassa sont au pouvoir depuis 1970. En 1973, les électeurs ont donné une majorité écrasante aux libéraux qui se retrouvent quasiment sans opposition avec 102 députés sur 110 sièges. Un véritable raz-de-marée malgré les 30,22 % des suffrages remportés par le Parti québécois qui ne fait élire que six députés. Le chef du PQ, René Lévesque, est battu dans son comté pour une troisième élection consécutive et sombre dans la déprime, songeant fortement à démissionner. Les libéraux ont promis 100 000 emplois et lancé le grand progrès hydroélectrique de la Baie James. Ils sont donc confortablement installés au pouvoir.

Mais des crises sociales et des scandales surviennent dans le second mandat libéral qui vont plonger le gouvernement dans l’embarras. Ces crises trouvent leurs racines dans le premier mandat de 1970 à 1973. D’abord, affaibli par la crise d’Octobre de 1970 qui a vu le gouvernement fédéral suspendre les droits civils pour mater une poignée de prétendus fanatiques, Robert Bourassa échoue à imposer, devant Trudeau père dans les négociations constitutionnelles, son concept de société distincte pour le Québec. Puis, survient le front commun syndical de 1972 qui va démontrer l’intransigeance de Robert Bourassa vis-à-vis les syndicats en imposant une loi spéciale et en emprisonnant les chefs syndicaux.  

Bien que les élections de 1973 aient été remportées par Bourrassa, les ennuis s’accumulent. D’abord, la crise pétrolière frappe durement le Québec. La promulgation de la loi 22 sur les Langues officielles en 1974 qui fait du français la langue officielle de l’administration et du travail fait de nombreux mécontents tant chez les francophones qui considèrent qu’elle ne va pas assez loin que chez les anglophones qui dénoncent des droits acquis perdus. Enfin, le scandale des Jeux olympiques de 1976 relatif au stade olympique plombe la crédibilité du gouvernement au sein de l’électorat. En effet, les coûts des jeux doublent et ceux des projets de la Baie James triplent. Les conflits d’intérêts et le patronage sont alors étroitement associés au Parti libéral du Québec. 

Le déclenchement hâtif des élections

Robert Bourassa a toujours eu un sens politique aigu. Même s’il pouvait rester au pouvoir jusqu’en 1978, il décide de déclencher les élections le 18 octobre 1976. Il le fait pour deux raisons. D’abord, il considère que le Québec est à un moment charnière de son histoire où il doit redéfinir sa place dans la fédération canadienne. Ainsi, il désire avoir un mandat clair pour négocier le rapatriement la Constitution canadienne, ce qui est l’écho du souhait profond de Trudeau. La seconde raison en est une économique. Ayant perdu la face devant le front syndical de 1972, il désire mettre au pas ces syndicats qui se sont beaucoup renforcés depuis. En 1976, les grèves se multiplient autant chez les ouvriers que chez les fonctionnaires alors que le taux de chômage tourne autour de 10 %. Au pouvoir depuis six ans, les libéraux font face à un climat social houleux où les échecs se multiplient. Cette conjoncture est donc propice à un changement.

Ce changement, on le sentait venir au sein de la population. Le 23 juin 1976, 300 000 personnes assistent sur le mont Royal à Montréal au spectacle emblématique de 1 fois 5 qui réunit pour la Saint-Jean-Baptiste les icônes de la culture québécoise : Robert Charlebois, Gilles Vigneault, Claude Léveillé, Jean-Pierre Ferland et Yvon Deschamps. C’est déjà la fête avant le temps !

La campagne électorale

La campagne ne dure que 28 jours, ce qui en fait une des plus courtes de l’histoire du Québec en ayant choisi l’étapisme comme stratégie menant à l’indépendance lors d’un précédent congrès, le Parti québecois fait sa campagne en scandant que ça prend un bon gouvernement. Dans un discours électoral, il ajoutera : « Si vous nous faites confiance le 15 novembre, ben, pour la première fois on aura peut-être la chance d’avoir un gouvernement qui serait vraiment québécois, mais qui sera un gouvernement par les Québécois et pour les Québécois. Ça vaut la peine d’essayer ça une fois. »

De leur côté, les libéraux ont pour objectif en début de campagne de contenir la grogne populaire en se positionnant comme les champions de l’économie et de l’emploi et d’être les seuls à pouvoir contrer la menace de sécession proposée par le Parti québécois. Ils vont même tenter de diaboliser le projet indépendantiste avec une chanson enregistrée par Jean Lapointe en la faisant diffusée dans les stations de métro de Montréal ! 

Pendant 28 jours, le chef du PQ, René Lévesque, consacre tous ses efforts à convaincre la population que l’enjeu demeure d’élire un « bon gouvernement » et de libérer le gouvernement des pratiques douteuses de patronage et de corruption où est plongé depuis des années le Parti libéral. Au soir du 15 novembre, le couperet tombe : le Parti québécois fait élire 71 députés avec 41,4 % des suffrages, alors que les libéraux obtiennent 33,8 % des voix et ne font élire que 26 députés. Le reste des sièges vont à l’Union nationale qui renaît de ses cendres avec 11 sièges, au Ralliement des créditistes (un siège) et au Parti national populaire (un siège). Le Premier ministre sortant, Robert Bourassa, est battu à plate couture par Gérald Godin dans son comté de Mercier. 

Une victoire inattendue 

Les stratèges du Parti québécois et René Lévesque lui-même sont abasourdis par l’ampleur de la victoire. En faisant son entrée au lieu du rassemblement péquiste au centre Paul-Sauvé, le chef du Parti québécois est littéralement assailli par une foule en liesse qui interrompt longuement son discours en scandant « Le Québec aux Québécois ! » À l’extérieur, de nombreuses explosions de joie accompagnées par des salves de klaxons se font entendre dans la métropole et dans plusieurs villes du Québec. Il n’y a pas d’équivalent dans notre histoire de telles effusions de joie et d’enthousiasme lors d’une soirée électorale. 

Prenant la parole et présenté euphoriquement par Doris Lussier, René Lévesque tient un discours qui redonne un sens au mot fierté : « Je dois vous dire franchement qu’on l’espérait de tout notre cœur, mais qu’on ne l’attendait pas comme ça cette année. J’ai jamais pensé que j’pouvais être aussi fier d’être québécois que ce soir ! » Enseveli sous une marée de cris et de chants, il lancera quelques instants sa phrase la plus célèbre : « On est pas un petit peuple; on est peut-être quelque chose comme un grand peuple ! » 

L’impact de cette élection sur la société québécoise

Malgré tous les épouvantails de peur que les libéraux ont collés au Parti québécois, le ciel ne s’est pas effondré sur le Québec au soir du 15 novembre. La bourse ne s’est pas emballée, l’exode des cerveaux, de la population anglaise et des richesses ne s’est pas produit. La composition du gouvernement péquiste va amener une extraordinaire concentration de gens talentueux au service du Québec qui va mener à un des meilleurs gouvernements de l’histoire du Québec. 

Des lois fondamentales du Québec ont été votées pendant ce mandat : la Loi 101 bien sûr, mais aussi la Loi sur le financement des partis politiques, la Loi sur le zonage agricole, la Loi de la création de l’Assurance automobile du Québec (SAAQ), la Loi anti-scab, la Loi qui crée les zones d’exploitation contrôlée (les ZEC) mettant fin aux clubs de pêche privés majoritairement étasuniennes. Il y a d’autres changements qui perdurent encore de nos jours : le changement du message sur les plaques d’immatriculation (Je me souviens qui remplace La belle province), la création de la DPJ et du ministère de l’Environnement et de la CSST.

Aucun gouvernement n’a eu autant d’impact sur le Québec depuis celle du PQ de 1976 par la qualité de ses membres élus et par la législation importante qui a profondément modifié les structures sociales, linguistiques et économiques du Québec. Certains ont qualifié ce mandat par une seconde Révolution tranquille. Quoi qu’il en soit, son impact sur le Québec est immense et sa trace indélébile. Laissons le mot de la fin à Jean Paré dans l’Actualité de janvier 1977 : « C’est une illusion considérable que de prétendre que le Parti québécois est un parti comme les autres, tout comme c’en fut une de penser que le Québec était une province comme les autres. »

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