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Plan de guerre «rouge»
Daniel Machabée – « Si une telle attaque se produisait, le Canada pourrait s’appuyer sur une politique de la terre brûlée semblable à celle adoptée par la Russie lorsqu’elle a été envahie par l’Allemagne nazie1. »
Les déclarations intempestives de Donald Trump sur la volonté des États-Unis d’annexer le Canada peuvent sembler irréelles, voire farfelues. Mais cette volonté d’annexion ne date pas d’hier. En fait, cette idée est aussi vieille que la lutte entre la France et l’Angleterre pour le contrôle de cette partie du monde. Dans ces pages, nous avons déjà évoqué l’invasion de 1775 ainsi que la tentative avortée de 1812. Il y a 50 ans, en 1974, des plans d’invasion du Canada ont été découverts dans les Archives nationales à Washington lors de leur déclassification, élaborés dans les années 1920 et 1930. Retour sur un projet qui n’a rien d’un film de science-fiction.
Le « Manifest Destiny » et la doctrine Monroe
Après l’annexion du Texas en 1845 par la jeune république américaine, le journaliste new-yorkais John O’Sullivan fut le premier à évoquer ce terme qui fait référence à l’idée selon laquelle c’est le droit des États-Unis et son destin que d’étendre son territoire à l’ensemble de l’Amérique du Nord. À cette époque, des politiciens et des hommes d’affaires demandent à leur gouvernement américain de poursuivre l’expansion territoriale même au-delà des frontières de l’Amérique du Nord britannique, à savoir la province du Canada-Uni, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve.
Cette volonté expansionniste découle du discours que prononça au Congrès en 1823 le cinquième président américain James Monroe, qui condamna toute intervention européenne dans les affaires des Amériques, tout comme celle des États-Unis dans les affaires européennes. La doctrine Monroe inspira la politique étrangère des États-Unis, du moins jusqu’à 1945. À partir de cette doctrine, investis par le côté divin de leur expansionnisme territorial, les États-Unis ont entrepris la conquête territoriale du continent nord-américain, ce qui a entraîné une course avec la Grande-Bretagne pour le contrôle l’Amérique du Nord. Cette doctrine a joué un rôle fondamental dans la volonté de la Grande-Bretagne de coloniser l’Ouest canadien, ainsi que les territoires bordant l’Arctique. Cette course se solda le 15 juin 1846 par le traité de l’Oregon qui fixa la frontière canado-américaine à l’ouest des montagnes Rocheuses.
Des plans de guerre multicolores
Les États-Unis ne veulent souffrir d’aucun rival dans le monde, du moins en Amérique. Ils sont sortis de la Première Guerre mondiale comme une puissance militaire et économique en pleine expansion. De leur côté, les empires français et britannique sont sortis affaiblis de ce conflit dévastateur et ne pourront rien faire lorsque les États-Unis imposeront leur hégémonie au cours des décennies suivantes. Après la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne devait la somme astronomique de 22 milliards de dollars et les désaccords sur les modalités de remboursement irritaient profondément l’Oncle Sam, ce qui l’incita à mettre sur pied différents scénarios.

Après le traité de Versailles qui redessina l’Europe en 1919, le département de la Guerre des États-Unis développa différents plans de guerre codés en couleur afin de s’approprier les ressources indispensables à leur développement stratégique au détriment des vieux empires coloniaux. Il y a eu le plan de guerre gris concernant l’invasion des Caraïbes; il y a eu le plan de guerre violet pour préparer l’invasion de l’Amérique centrale; il y a eu le plan de guerre vert pour envahir le Mexique et contrôler les réserves pétrolières; il y a eu le plan de guerre orange concernant une guerre avec les intérêts du Japon dans le Pacifique; il y a eu le plan de guerre or concernant la guerre contre la France et ses colonies; il y a eu le plan de guerre noir concernant une guerre contre l’Allemagne; il y a eu le plan de guerre indigo pour une invasion de l’Islande afin d’en faire une base d’opérations militaires; il y a eu le plan de guerre marron qui prévoyait un soulèvement aux Philippines; il y eut le plan jaune pour une intervention en Chine. Il en existe d’autres, mais celui qui nous intéresse dans cette chronique est le plan de guerre rouge que des lecteurs non avertis pourraient associer à une lutte contre l’URSS. Pourtant, il s’agit bien du plan d’invasion contre l’Empire britannique, en particulier de l’invasion militaire du Canada.
Ce plan prévoyait l’invasion et le contrôle des infrastructures canadiennes en six points. En premier lieu, des troupes partant de Bellingham dans l’État de Washington occuperaient Vancouver et la Colombie-Britannique; en second lieu, des troupes partant de Grand Forks au Dakota du Nord envahiraient Winnipeg qui était le centre névralgique du transport ferroviaire transcontinental; en troisième lieu, des troupes partant de Détroit convergeraient vers Toronto; en quatrième lieu, une armée partant de Buffalo aurait comme objectif de neutraliser la puissance énergétique de Niagara Falls, qui alimentait l’Ontario en électricité à cette époque; en cinquième lieu, une armée de blindés, nouvelle arme redoutable, partirait d’Albany afin d’envahir Montréal et Québec; enfin, en sixième lieu, une flotte partant de Boston aurait comme objectif le blocus d’Halifax, alors grand port militaire canadien.
Ce plan d’invasion a été élaboré dans l’optique d’une guerre avec l’Empire britannique alors que celui-ci utiliserait le Canada comme bases de départ d’une invasion des États-Unis, tout comme en 1812. La Marine américaine prendrait donc le contrôle des ports de l’Atlantique et du Pacifique, ainsi que des Grands Lacs, pendant que l’infanterie contrôlerait les grandes villes canadiennes, les structures énergétiques, les aéroports, les lignes de chemin de fer et les mines de Nickel de l’Ontario. L’objectif des États-Unis n’était pas seulement de vaincre le Canada, mais bien de le revendiquer comme un prix : « Les intentions des [États-Unis] sont de conserver à perpétuité tous les territoires conquis. La politique sera de préparer les provinces et les territoires à devenir des États et territoires de l’Union dès la déclaration de paix.2 »
Des voisins pas si pacifiques que ça
En 1934, le plan de guerre rouge a été modifié afin d’autoriser l’utilisation immédiate de gaz toxique contre la population canadienne et de détruire sous les bombes la ville d’Halifax si elle ne pouvait pas être capturée. En février 1935, le ministère de la Guerre organisa une approbation par le Congrès de 57 millions de dollars afin de construire trois bases aériennes frontalières aux fins d’attaques-surprises sur les aérodromes canadiens. La base située près des Grands Lacs devait être camouflée en aéroport civil et devait être capable de neutraliser le cœur industriel de l’Ontario.
En août 1935, les États-Unis ont tenu leur plus grand exercice de guerre en temps de paix. Ainsi, 36 000 soldats convergèrent vers la frontière au sud d’Ottawa et 15 000 autres demeurèrent en réserve en Pennsylvanie. À cette époque, le Canada savait très bien qu’il n’avait aucune chance de résister à une invasion américaine sur son territoire. Fraîchement devenu un véritable pays indépendant en 1931 avec la loi du Statut de Westminster, son espoir résidait dans une défense de ses principales infrastructures, le temps que la Grande-Bretagne vienne au secours de son Dominion.
Pourtant, le Canada avait lui aussi son plan d’invasion des États-Unis. En 1921, le lieutenant Buster Brown rédigea le « Plan de défense no1. » Le titre est trompeur : il s’agit bel et bien d’un plan d’invasion des États-Unis ! Brown est même allé au volant d’une Ford modèle T, avec d’autres soldats, espionner le long de la frontière de la Nouvelle-Angleterre. Ils ont photographié des ponts, des autoroutes et d’autres sites, en plus de sonder les habitants frontaliers sur leur allégeance.
Si les plans d’invasion devinrent caducs après la Seconde Guerre mondiale avec la création de l’OTAN et le NORAD, ils sont toujours d’actualité pour nos voisins, dirigés par un mégalomane qui voit dans le Canada l’extension naturelle de son salon. Est-ce que le Canada a la moindre chance devant une invasion militaire américaine ? Comparons : nombre de soldats : 60 000 pour le Canada, 1 400 000 pour les États-Unis; 120 tanks contre 8850; moins de 100 avions militaires contre 13 000; 30 navires de guerre contre 430; 0 ogive nucléaire contre 6970. Le Canada demeure une succursale des États-Unis sur le plan économique. Sans le Québec, qui permet au Canada d’avoir une culture, l’annexion aux États-Unis serait naturelle et seulement une question de temps.
1. Journal Ottawa Citizen, 2003.
2. Dans Richard Preston, La défense de la frontière non-défendue, 1977.