Amal’Gamme – Trio Young-Lalonde-Sidorov
« Lux et tenebræ », plutôt que le contraire

Photo : France Leblanc | L’alto Josée Lalonde, à la solide réputation dans le monde du chant classique, la soprano Karen Young, l’une des plus grandes chanteuses de jazz au Canada, et Vladimir Sidorov, virtuose de l’accordéon bayan (classique)
Gisèle Bart
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Sur la scène de Diffusions Amal’Gamme, le samedi 6 février, nous étions conviés à parcourir sept cents ans de musique. La soprano Karen Young, l’une des plus grandes chanteuses de jazz au Canada, l’alto Josée Lalonde, à la solide réputation dans le monde du chant classique et Vladimir Sidorov, virtuose de l’accordéon bayan (classique) seraient les conducteurs de ce voyage. En voiture, une salle remplie d’auditeurs pour écouter ce qui avait été intitulé «Tenebrae et lux» par les protagonistes.

La première partie de ce concert, qui sera principalement composée de musique ancienne, s’ouvrira cependant par une œuvre contemporaine, Now welcome summer de June Tabor. Deux notes de l’accordéon, entêtantes, répétées, tambourin, frappements sur un bidon en plastique, lequel remplaçait in extremis un darbouka oublié à la maison, deux très belles voix, vocalises réussies de la soprano, une pièce amusante. Pour un médiéval anonyme, Alle psallite, Sidorov fit gronder son instrument comme de grandes orgues. Le morceau d’abord très doux prit de l’ampleur, les voix s’harmonisèrent encore plus, limpidité chez Karen, puissance et assurance chez Josée, broderies de l’accordéon, ce fut une belle pièce.

À la troisième chanson, Dessus la rive de la mer, écrite entre 1570 et 1620, c’est un réel malaise que j’ai éprouvé à l’écoute des paroles : « Bon gré, mal gré je vous baiserai… Il la jeta sur l’herbe et la baisa… la baisa… » pendant que suppliait la damoizelle : « Ramène-moé gentil (!?!) marinier, ramène-moé à la rive !… » Tout cela ponctué d’accords dramatiques de l’accordéon.

Nos musiciens «tentèrent de faire pardonner ces péchés » par des chants à caractère religieux, un J. S. Bach, un Dufay et un Monteverdi. Toujours aussi belles et remarquablement harmonieuses, les voix nous transportèrent en des sphères plus élevées. Des coups sur un triangle, discrets, sporadiques, posèrent du cristal sur cette soie. L’accordéon s’empara de notre être tout entier et, pour son plaisir et le nôtre, Sidorov s’accorda de belles finales solennelles.

C’est à lui que furent confiés les trois avant-derniers morceaux de la première partie. Une interprétation très sentie de Les feuilles mortes suivie d’une performance, Le vol du bourdon. Puis ce fut Le reel du bonheur, une composition de notre accordéoniste lui-même, l’alto jouant des cuillers, la soprano «scattant» et jouant du tambour à qui mieux mieux. Très joli! Enfin, pour nous mener à la pause, ce fut un très harmonieux Rose, liz, printemps, verdure de Guillaume Machaut (1300-1377).

Les chanteuses ouvrirent la deuxième partie a capella, deux louves se faisant tour à tour écho l’une à l’autre dans Havun, une chanson arménienne où transparaissait la douleur d’un peuple persécuté. On nous interpréta ensuite deux pièces en mode jazz, balai sur le tambour, qui donnèrent l’occasion de déceler chez les voix de Karen et de Josée ces étranges accents d’instruments de musique (trompette, saxo) souvent distingués dans la voix des grands chanteurs de jazz. Quant à Sidorov, présent mais discret, il jouait comme il sait si bien le faire.

À partir de ce moment aurait dû se produire un impromptu qui eût apporté un effet vivifiant de surprise. Surtout qu’un traditionnel Ladno d’un rabbin espagnol s’y serait prêté, pièce où même l’accordéon arrivait à sonner yiddish sous les doigts habiles de Vladimir. En effet, les quatre derniers chants, sauf peut-être une valse un peu plus «trash», étaient si mélancoliques et à caractère si religieux que le concert devint un brin soporifique, surtout qu’ils étaient d’une longueur assez importante. Loin de moi l’intention de dénigrer ces airs, dont il faut sauvegarder la sublime beauté, mais leur cumul en ce siècle laïque étonnait. Certes l’effort d’y insérer un Poulenc (1899- 1963), Prier pour la paix, était louable, mais un «happening» quelconque plus vivace aurait été de bon aloi.

Au rappel, toujours magnifique, l’Ave Maria (dit «de Caccini»), de Vladimir Vasilov, termina ce concert d’une beauté indéniable, somme toute un concert avec beaucoup de lumière et très peu de ténèbres, sinon dans la traumatisante troisième pièce.

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