Mots et mœurs

Gleason Théberge
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Hésitation et harcèlement

Gleason ThébergeDes allégations crédibles de harcèlement ont récemment décidé de nombreuses personnes à mettre fin à leur hésitation à dénoncer. Elles ont aussi mis en lumière l’usage malmené de la lettre H quand elle est placée au début d’un mot. Distraits ou ignorant la prononciation correcte, certains commettent ainsi l’erreur de dire l’harcèlement

Or, le H est soit écrit sans qu’on le prononce (comme dans l’hésitation), soit il oblige à une pause de prononciation (comme dans le harcèlement) : il est alors appelé H aspiré. On n’écrit ni ne prononce donc pas la hésitation ni l’harcèlement, puisque avec ou sans la barrière sonore, chacun de ces mots perd son identité (l’art scellement?). En matière de prononciation, chacun pratique d’ailleurs l’habitude de reporter la consonne finale d’un mot sur la voyelle d’un mot qui suit. On dit ainsi [lèzwazo] pour les oiseaux ou [toutaleur] pour tout à l’heure : prononcer [lèwazo] ou [toualeur] compliquerait  la compréhension des deux expressions. L’exemple classique de ce manquement est dans la prononciation de les héros en [lèzéro], qui contredit à l’oreille la noblesse des personnages en les décrivant alors comme des zéros.

D’où vient que cette lettre puisse apparaître au début de l’horloge sans que sa présence se fasse sentir ou qu’elle commence le hasard en interdisant de faire entendre un [lazar] qui évoquerait le Lazare de la Bible? Une partie de la réponse vient du fait que les mots dont le H (surtout s’ils sont courts) proviennent de langues autres que le latin ou le grec, dont la prononciation a tendance à respecter la manière dont ces expressions apparaissaient dans la langue de provenance. De l’anglais, on a ainsi adopté le hall ou le handicap (hand in cap) et le handicapé. De l’allemand, la halte, le hareng, la houle. De l’arabe, le hasard, le hachiche, le harem. Du scandinave, la hantise, le harnais, le hauban. Du néerlandais, le havre. De l’italien, la harpe. Et de l’ancien français, plus rude que le moderne, la haine, le hameau, la hargne, le hêtre, le hochet et le harcèlement, dont il a été question ci-dessus.

Autrement, même si la lettre H n’est pas concernée, l’apparition du le dans le un permet d’affirmer que c’est le nombre qui est utilisé, comme quand on dit soit j’ai besoin d’un crayon (n’importe lequel), soit j’ai besoin de un crayon (si on en offre plusieurs); le huit et le onze méritent d’ailleurs aussi la pause, puisqu’on ne dit pas l’huit janvier ou l’onze février. Quant au yaourt ou yogourt et au yéti, ils ont eu droit à la même politesse quand ils ont été intégrés au français.

Dans certains autres cas, c’est la parenté de la graphie avec un son original qui impose le H aspiré. Le fait de haleter (respirer fortement), par exemple, est lié au souffle et se distingue ainsi mieux de allaiter. De même, le nom du hibou évoque le hou hou de ses appels nocturnes; et le mot hoquet décrit bien le soubresaut incommodant et sonore. C’est aussi sans compter les ha!, hi!, ho!, qui indiquent le rire, ou le hue! de l’ancienne commande donnée au cheval. Quant au heu! qui marque l’hésitation, aussi écrit euh! et habituellement diminué en e…!, le Canada a un premier ministre qui en fait grand usage quand il parle un français, la plupart du temps approximatif… Devinerez-vous que ces hésitations, qu’il n’a pas en anglais, me harcèlent?

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