Mots et moeurs

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Gleason Théberge
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À propos d’élection

Gleason Théberge – Contrairement à une première impression, élire et lire ne sont pas de même origine. Dans le dernier cas, il s’agit de découvrir un contenu déjà déterminé; mais une élection propose des issues davantage incertaines. Au lieu du hasard des tirages de loterie, cependant, le résultat provient d’un ensemble d’individus qui ne choisissent qu’une seule des cases décidant de la victoire.

Dans nos démocraties, les candidates et candidats, quant à eux, ce sont depuis cinq siècles les descendants des anciens aspirants romains à des charges publiques (candidatus) signalés par la blancheur de leur vêtement (toga candida). S’ils étaient choisis, le rouge s’ajoutait à leur toge. Le verbe initial candere signifiait être de la couleur éclatante de la neige, des étoiles. Le français en a tiré l’incendie (incandescence) et la chandelle (candela), mais aussi la candeur, synonyme de la confiance excessive, dont font preuve avant l’élection certaines personalités politiques raccoleuses.

De même provenance latine que le mot élite, l’élu.e est celle ou celui dont le nom a reçu le plus large appui dans les urnes, On ne s’étonnera d’ailleurs pas que les bulletins ainsi recueillis aient une noble origine l’apparentant aux bulles signées par les papes catholiques. Mots tous deux issus de bulla, c’est par un glissement de sens que la boule attachées aux anciens sceaux a fini par désigner l’acte dont ils attestaient l’authenticité. On agit d’une manière assez semblable quand on affirme qu’on amangé toute son assiette, pour dire qu’on en a honoré tout le contenu. C’est du même processus que proviendrait aussi le billet de banque, mais aussi les variantes de bouillir (faire des bulles), où l’on peut retrouver l’énergie déployée en campagne électorale, le caractère quasi guerrier de la compétition et jusqu’à l’attitude impatiente des candidats en atttente de la décision provenant des opinions citoyennes dûment exprimées.

Le scrutin dérive, lui, d’un ancien usage tout aussi religieux que celui de la bulle pontificale, puisque scrutine désignait jadis l’examen des opinons religieuses des jeunes avant leur profession de foi chrétienne. Ce n’est qu’au siècle de la Révolution française qu’on a recommencé en Occident à procéder régulièrement à des scrutins secrets sur des opinions politiques, comme chez les anciens Grecs et Romains.

Les votes ou voix ainsi obtenues sont d’ailleurs en cousinage verbal avec les vœux, simples désirs formulés en magie douce ou engagements solennels. Or, les statistiques affirment, hélas!, que dans tous les pays (vraiment) démocratiques, où le vote est libre, les électeurs sont de moins en moins nombreux à croire au pouvoir des urnes. On se rappellera d’ailleurs que ces contenants, désormais aux formes diverses, désignent des poteries où l’on dépose les cendres des défunts. Ce parallèle ouvre-t-il sur le deuil anticipé de cette pratique faisant d’un peuple le souverain ponctuel de ses dirigeants? Ou peut-on n’y voir que l’évocation des souhaits formulés par celles et ceux qu’on dit avoir perdu leurs élections? 

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