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Un changement de culture nécessaire et attendu
Pour faire de la politique active en tant qu’élu, il faut être fait « tough », ce n’est pas un secret. Quiconque exerce une telle fonction s’expose davantage à des pressions conséquentes à l’écrasante responsabilité des fonctions. Par contre, il y a une distinction importante entre les deux sources d’incivilités que subissent les élus municipaux : les incivilités en provenance des citoyens et les incivilités au sein même du conseil municipal. J’ai été particulièrement interpellé par l’article de Marie-Claude Lortie, la mairesse qui n’était peut-être pas faite pour ça, puisque c’est sur ces éléments précis qu’une nuance importante doit être faite.
Le poids de la méfiance des citoyens envers les élus se fait certes sentir, mais la tension qui pèse le plus lourd au quotidien est celle occasionnée par les incivilités au sein des conseils municipaux.
À mon avis, la plus grande source de conflits réside dans l’incompréhension des rôles et des relations entre les différents acteurs dans une municipalité (DG, maire, conseillers et surtout administrateurs et em-ployés). C’est à partir de ces tensions que les situations dérapent et qu’on assiste au théâtre peu glorieux des comportements dérangeants et irrespectueux entre les collègues d’un conseil municipal et souvent envers le personnel de la Municipalité.
Il y a plusieurs pistes de solutions, mais celle qui retient davantage mon soutien est celle que mon homologue, Catherine Fournier, a déjà suggérée : il faut davantage codifier et uniformiser les processus de régie interne dans les Municipalités afin de réduire les zones d’interprétations relatives au rôle de chacun, ainsi que les relations entre les parties constituant la gouvernance municipale (maire, DG, conseillers).
C’est un excellent départ, mais il faudra faire plus. Pour effectuer un changement de culture profond, il faut également modifier la structure institutionnelle. Il est donc temps d’avoir une sérieuse discussion sur l’immunité dont bénéficient les élus.
Une fois élus, les conseillers et le maire sont, pratiquement, indélogeables. On pourrait presque dire qu’ils bénéficient d’une forme d’immunité. Par contre, quel que soit le milieu de travail, une personne qui a des comportements incivils ou qui fait du harcèlement en milieu de travail peut perdre son emploi. Ce n’est pas compliqué. Pourtant, lorsque cela concerne un élu municipal, le processus devient excessivement laborieux et les conséquences sont presque nulles.
À titre d’exemple, un conseiller municipal incivil envers les membres du conseil municipal ou un membre du personnel de la Municipalité subira peu de conséquences. Ni la mairesse ni l’ensemble du conseil municipal ne peut lui imposer de réelles sanctions. Cet élu incivil sera expulsé des comités de travail, mais pourra continuer de nuire aux avancements des travaux du conseil municipal par toute sorte d’autres moyens d’obstruction. Rappelez-vous le conseiller Lafond à la Ville de Sainte-Adèle…
Comme France Bélisle, la mairesse démissionnaire de Gatineau, l’a mentionné dans son entrevue à Tout le monde en parle, c’est à la Commission municipale du Québec (CMQ) qu’il faut s’adresser dans de telles situations et c’est elle qui est la seule instance ayant le pouvoir de déloger un élu de ses fonctions.
La question à se poser ici est de savoir si la CMQ réprimande adéquatement les comportements incivils et le harcèlement dans les conseils municipaux et si ces réprimandes ont la même portée que celles encourues dans un milieu de travail autre que municipal soit un milieu « normal »? J’ai bien peur que non, mais pourquoi en est-ce ainsi ? Ne devrait-on pas commencer à penser à un conseil municipal comme un milieu de travail soumis à des codes de conduite similaires à ce qui est attendu d’un employé ? Bref, soit la CMQ manque d’outils pour agir dans ces dossiers d’incivilité et de harcèlement, soit cette tolérance envers les comportements inadéquats dans le milieu politique québécois est ancrée si profondément dans notre culture qu’elle en est devenue systémique jusque dans nos institutions. Il m’apparaît impératif de revoir le cadre juridique entourant la fonction d’élu municipal dans le cadre de ses relations de travail.
« La guerre, la guerre, ce n’est pas une raison pour se faire mal ! » disait Ti-Guy la Lune.
La politique restera toujours un monde empreint de rivalités parce que la confrontation des idées est essentielle à l’épanouissement d’une démocratie saine. Donc oui, pour faire de la politique active en tant qu’élu, il faut être fait « tough », il faut être prêt à défendre ses idées, mais il faut faire la part des choses entre les pressions citoyennes démocratiques et la pression d’un environnement de travail malsain. Certes il faut avoir les reins solides pour supporter le poids de cette fonction, parce c’est une énorme responsabilité, mais ce n’est pas un signe de faiblesse de refuser de tolérer un milieu de travail toxique. La crise actuelle est une belle opportunité de réflexion et de discussions. C’est également une belle occasion pour le monde municipal d’ébranler les colonnes du temple et de mettre en chantier un important changement de culture très attendu.