L’urgence climatique

Nicolas Michaud
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«On sait ce qu’il faut faire pour éviter le pire.»

Nicolas Michaud – Comment expliquer et combattre l’immobilisme canadoquébécois face à l’urgence climatique ? « On sait ce qu’il faut faire pour éviter le pire; alors, pourquoi ça ne va pas plus vite ? » C’est en voulant trouver une réponse à sa question que Catherine Perrin explore, à travers ce documentaire, plusieurs aspects liés aux enjeux environnementaux. Pour ce faire, l’animatrice met en lumière le rôle des gouvernements, des entreprises et de la société civile dans cette transition vers des pratiques écoresponsables.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), environ 14 % du produit intérieur brut (PIB) des pays développés est consacré à l’approvisionnement gouvernemental. Pour le Canada, cela représente des dépenses à hauteur de 390 G$. En tant que plus gros acheteurs de biens et de services sur les marchés publics, les gouvernements possèdent donc un pouvoir significatif dans la structuration de l’économie.

Pourtant, le Québec et le Canada peinent encore à exploiter pleinement le potentiel des marchés publics pour promouvoir des valeurs écologiques. Pour bien démontrer ce non-sens, le documentaire cible les quatre principaux défis relatifs au développement des innovations vertes en étudiant les cas spécifiques de quatre entreprises québécoises.

Les défis des technologies de rupture : le cas de Ramo inc.

En faisant le choix de développer des technologies de rupture par opposition aux technologies dominantes, des entreprises, bien qu’innovantes, se heurtent souvent à des formulaires ou à des critères conçus pour des solutions classiques, ce qui complexifie leur intégration dans les appels d’offres gouvernementaux.

Tel est le cas de l’entreprise achiganoise Ramo. En tant que leader en phytotechnologie (technologies végétalisées), elle propose une solution ingénieuse pour décontaminer les sols pollués et traiter les eaux usées en plantant des millions de saules qui, une fois récoltés, serviront à la fabrication d’écrans antibruit incroyablement performants. Néanmoins, en dépit de ses prouesses techniques, « quand on arrive dans un processus de demande de certification ou d’autorisation environnementale, les guides ou les formulaires ne sont absolument pas conçus pour l’usage d’une plante pour traiter des eaux », proteste Francis Allar, le président-directeur général de Ramo, qui doit faire preuve de ténacité pour dénicher des contrats.

Pour combler ces lacunes, des experts suggèrent de restructurer les appels d’offres publics en favorisant une ouverture aux meilleures pratiques étrangères, en intégrant formellement des critères de protection de l’environnement, ainsi qu’en adoptant des outils et des incitatifs qui encouragent les marchés publics durables comme aux Pays-Bas et en Corée du Sud.

Les défis du financement des technologies vertes : le cas d’Effenco inc.

Le financement, en particulier le capital de risque, est primordial pour soutenir les phases initiales de développement d’une entreprise écologique, de la conception des technologies jusqu’à leur mise à l’échelle industrielle et leur commercialisation. Cependant, les investisseurs, qu’ils soient publics ou privés, peuvent manquer de vision à long terme en préférant des retours sur investissement rapides plutôt que de soutenir des projets risqués, mais prometteurs. Ces dynamiques créent un obstacle supplémentaire pour les entreprises écoresponsables canadiennes qui doivent couramment jongler avec des objectifs financiers à court terme, tout en cherchant à innover, à croître, et à être compétitives sur les marchés internationaux. Comme l’explique David Arsenault, fondateur et ex-président d’Effenco, naviguer dans le domaine de l’innovation environnementale est complexe, exigeant et nécessitant une patience ou une expertise qui ne sont pas toujours disponibles.

Avec ses 25 brevets, le fabricant montréalais Effenco a mis au point une technologie qui maximise l’efficacité énergétique, diminue les émissions de gaz à effet de serre (GES) et réduit la pollution sonore des camions lourds vocationnels (ca-mions de collecte ou camions-bennes) grâce à un dispositif électrique qui prend le relais du moteur à combustion dès l’arrêt du véhicule. Toutefois, malgré son potentiel environnemental et ses succès commerciaux, Effenco a connu des problèmes de liquidité avec les retards causés par la pandémie de COVID-19, et a dû déclarer faillite au printemps 2022 après avoir perdu le soutien des investisseurs publics.

Par conséquent, en soulignant l’importance de la prise de risque, les intervenants exhortent les décideurs et les investisseurs à accepter les échecs comme une partie intégrante du processus entrepreneurial ou comme des occasions d’apprentissage et de progrès, plutôt que de les éviter ou de les considérer comme des signes de faiblesse ou d’incompétence.

Les défis de la réglementation : le cas de Brique Recyc inc. (Maçonnerie Gratton)

Le débat entourant la réglementation dans le domaine des technologies vertes révèle un dilemme. D’un côté, l’importance de règles claires et précises pour encadrer les activités humaines dans une société. De l’autre, les défis et les lenteurs rencontrés pour faire évoluer des réglementations souvent mal adaptées aux nouvelles réalités tout en soutenant l’innovation environnementale.

Un exemple flagrant de cette problématique reste le secteur de la construction où l’absence de réglementation environnementale efficace favorise le gaspillage de matériaux en privilégiant la démolition au lieu de la rénovation. Les obstacles réglementaires peuvent également entraver l’adoption de nouvelles technologies vertes comme en témoigne Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton et fondateur de Brique Recyc, qui a dû surmonter de nombreux obstacles pour introduire sa technologie sur les chantiers de construction malgré ses bénéfices environnementaux considérables. À ce propos, l’entreprise montréalaise Brique Recyc (Ma-çonnerie Gratton) a développé une technologie qui enlève, au moyen d’une lame guidée au laser, le mortier résiduel des briques d’édifices en démolition qui peut immédiatement être réutilisé au lieu d’être jeté dans les sites d’enfouissement.

Les entrepreneurs demandent donc aux gouvernements d’adopter une approche plus proactive en révisant régulièrement leurs réglementations pour les rendre plus adaptées aux défis environnementaux actuels. Les règles du jeu doivent ainsi être redéfinies pour encourager les pratiques durables et appuyer l’émergence d’entreprises alignées sur les objectifs collectifs de préservation de l’environnement.

Les défis de la résistance au changement : le cas de Soleno inc.

En ce qui concerne les décisions politiques et les pratiques industrielles, le documentaire signale trois principaux freins au changement. Le premier est la peur du changement inhérente à la nature humaine : les gens sont souvent réticents à abandonner des pratiques établies même si elles sont néfastes pour l’environnement. Le deuxième est la lourdeur de la bureaucratie : les processus administratifs deviennent trop complexes et les normes deviennent trop rigides, ce qui entrave l’adoption de solutions alternatives. Le troisième est le lobbyisme : les colossales ressources financières dont disposent les industries, particulièrement pétrolières et gazières, leur permettent d’influencer disproportionnellement les politiques publiques, et ce, bien souvent au détriment des initiatives environnementales.

Pour illustrer cette résistance au changement, l’exemple de Soleno demeure révélateur. Se décrivant comme le premier développeur de solutions durables pour la maîtrise de l’eau pluviale, cet industriel johannais offre de réduire les coûts d’installation, la consommation d’eau, la pollution atmosphérique et les émissions de GES en remplaçant le traditionnel tuyau de béton lourd et polluant par du plastique léger, recyclé, recyclable et durable pour fabriquer des tuyaux d’égouttement. Cependant, comme l’indique Suzie Loubier, la vice-présidente et la cheffe de la stratégie chez Soleno, en dépit de tous les avantages préalablement énumérés, son entreprise ne peut pas faire affaire avec la Belle Province, puisqu’elle se heurte à des normes strictes imposant l’utilisation de tuyaux en béton sous les autoroutes au Québec.

De plus en plus, les voix des acteurs impliqués appellent, en conséquence, à des changements tels que l’assouplissement des règles bureaucratiques et le renforcement de la transparence dans le processus politique.

De la parole aux actes

Des entrepreneurs aux professeurs, en passant par les militants jusqu’au ministre de l’Environnement du Canada, tous les différents intervenants prônent l’importance de passer des paroles aux actes. Ils critiquent le manque de cohérence dans les politiques gouvernementales et l’absence de communication efficace pour promouvoir un mode de vie durable. Ils insistent sur la nécessité de vendre un projet de société attrayant aux citoyens pour les engager dans la transition écologique. Ils allèguent que, malgré les résistances politiques et sociales, le courage est une qualité essentielle pour faire avancer les choses, que ce soit en politique, dans les affaires ou au sein de la société. Enfin, ils mettent l’accent sur l’importance d’une transition écologique qui est juste et inclusive afin que toutes les classes sociales puissent participer à la lutte contre les changements climatiques.

D’une durée de 52 minutes, Virage vert : les règles du jeu est un documentaire canadien produit en 2024 par Casadel Films, animé par Catherine Perrin, réalisé par Amélie Hardy, et disponible gratuitement sur la plateforme radio-canadienne de diffusion en continu ICI Tou.tv

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