Tarifs douaniers

Construit au coût de 5,7 milliards de dollars, ce pont reliera les villes de Windsor et Détroit en septembre prochain. Il ajoutera six voies de circulation aux échanges entre les deux pays. Le président Trump voudra-t-il y construire un mur ? www.gordiehoweinternationalbridge.com – Crédit : avec l’aimable autorisation de l’Autorité du pont Windsor-Détroit
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Dérives économiques à la Maison-Blanche

Henri Beauregard – Depuis son élection présidentielle, en novembre dernier, Donald Trump ne cesse de brandir la menace d’imposition de droits de douane – ou tarifs douaniers – à la frontière américaine. Début février, il a suspendu pour une période d’un mois l’imposition de tarifs de 25 % sur les importations en provenance du Canada et du Mexique[1], avec une exception pour le pétrole et gaz (tarif de 10 %).

Selon lui, telle une potion magique, les tarifs douaniers pourraient corriger le déficit commercial colossal du pays (exportations moins importations de marchandises), apporter de nouveaux revenus au Trésor public et réduire le déficit budgétaire, augmenter la productivité, l’investissement et l’innovation des entreprises américaines, diminuer l’immigration illégale et le trafic du fentanyl, voire assurer la sécurité du pays.

Derrière les mensonges, les demi-vérités et les omissions du président américain, quelles leçons économiques pouvons-nous en tirer ?

Une subvention américaine de 200 milliards de dollars ?

C’est le montant, en dollars américains bien sûr, avancé par Trump : les États-Unis subventionneraient le Canada ! Aucun analyste financier n’a pu trouver la trace d’une telle somme. On peut penser qu’il fait allusion au déficit commercial entre nos deux pays qui approcherait les 100 milliards de dollars canadiens en 2024. Évidemment, il ne s’agit absolument pas d’une subvention, mais résulte du fait que les Américains ont acheté plus en valeur de produits canadiens que les Canadiens de produits américains. 

Nous savons que les touristes canadiens dépensent plus d’argent aux États-Unis que les touristes américains au Canada. Personne ici ne soutient qu’il s’agit là d’une subvention canadienne aux États-Unis. En considérant les échanges de services entre les deux pays, largement favorables aux Américains, le déficit américain serait plutôt de l’ordre de 85 G$.

Les faussetés de Trump sont toutefois intéressantes en ce sens qu’elles nous amènent à examiner les relations commerciales entre nos deux pays.

Relations commerciales Canada-États-Unis

Après le Mexique, le Canada est le deuxième plus important partenaire commercial des États-Unis, et ce, entre autres devant la Chine, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon et la Corée. Notre pays est cependant le premier marché d’exportation pour les Américains et arrive aussi au premier rang comme marché hors des États-Unis pour trente-quatre États américains.

Sur le plan des échanges commerciaux, les économies canadienne et américaine sont fortement intégrées. La majeure partie des exportations canadiennes sont des intrants utilisés par les entreprises américaines dans leur propre production. Se faire imposer un tarif de 25 % aura comme première conséquence d’augmenter les coûts de production des entreprises américaines, les rendant encore moins concurrentielles sur les marchés internationaux, en plus d’alimenter l’inflation. Le président Trump nie cette réalité et affirme même que son pays n’a pas besoin du Canada entre autres dans les domaines de l’automobile, du pétrole et du bois d’œuvre.

Dans le cas de la production d’automobiles, l’intégration est très poussée entre nos deux pays et avec le Mexique. Ainsi, les pièces d’automobiles nord-américaines franchissent les trois frontières jusqu’à sept fois avant l’assemblage final. Les usines canadiennes assemblent environ 8 % de la consommation américaine, celles du Mexique près de 20 % et la production américaine de 50 % (la balance est comblée par des producteurs non américains).

Selon des analystes du milieu bancaire[2], des tarifs douaniers dans le secteur automobile pourraient se traduire par une hausse d’environ de 3 000 $ le prix des automobiles dans le commerce de détail aux États-Unis. 

Les Américains pourraient-ils assembler eux-mêmes le 1,5 million d’unités en provenance du Canada ? Pour ce faire, ils devraient augmenter leur production d’environ 10 %, ce qui nécessiterait six nouvelles usines. Pour être entièrement autosuffisants, les Américains devraient augmenter leur production de 75 % et cela exigerait des investissements colossaux d’environ de 50 milliards de dollars.

Dans les faits, les constructeurs américains produisent à l’échelle nord-américaine, avec des unités de production dans les trois pays. S’ils sont présents au Canada et au Mexique, c’est qu’ils y voient des avantages et non pas pour nous faire des cadeaux. 

Les exportations canadiennes d’énergie (pétrole, gaz naturel et électricité) vers les États-Unis totalisent environ 170 milliards de dollars. En les excluant des échanges commerciaux, la balance commerciale des États-Unis avec le Canada s’inverse et est positive en faveur de notre voisin du Sud.

Le pétrole brut canadien est destiné aux raffineries du centre-ouest américain, adaptées pour le pétrole lourd canadien. Le Mexique et le Venezuela pourraient remplacer le pétrole canadien. Le faire avec le Mexique accentuerait son surplus commercial avec les Américains, loin de l’objectif du président Trump, et le Venezuela est sous sanction américaine. On estime[3] que le tarif avancé pour le pétrole brut (10 %) pourrait faire grimper de 0,12 $ à 0,28 $ le gallon d’essence aux États-Unis (2,8 à 7,6 cents le litre).

Quant au bois d’œuvre, les Américains satisfont environ aux trois-quarts de leurs besoins alors que leurs scieries fonctionnent présentement à pleine capacité. Les importations américaines en provenance du Canada pourraient être remplacées par les producteurs européens, notamment les pays nordiques, mais à un coût majoré. 

Un tarif douanier : qu’ossadonne ?

Un droit de douane, ou tarif douanier, peut se comprendre comme une taxe de vente sur un produit qui traverse une frontière. Prenons l’exemple d’un tarif de 25 % mis de l’avant par Trump. Ainsi, avant l’imposition de ce tarif, la très grande majorité des marchandises canadiennes[4] circulaient en franchise entre les deux pays, c’est-à-dire sans majoration tarifaire, compte tenu de l’accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique[5]. Maintenant, un produit canadien qui arrive à la frontière se verrait imposer un supplément de 25 %. Une exportation canadienne de 100 $ coûtera à l’importateur américain 125 $ (100 $ + 25 $). 

Dès lors, plusieurs questions se posent : qui va payer le 25 $ ? Qui l’empoche ? Que peut faire l’exportateur canadien ? L’importateur américain ? D’autres conséquences sont-elles à envisager ?

Dans notre exemple, le montant du tarif est acquitté par l’importateur et c’est le gouvernement américain qui en est le bénéficiaire. Le prix aux consommateurs américains augmentera de 25 $, à moins que le vendeur américain réduise ses marges de profit. Par ailleurs, l’importateur américain pourrait, si cela est possible, s’approvisionner aussi sur le marché local ou ailleurs dans le monde. 

Du côté canadien, l’exportateur canadien pourrait aussi réduire sa marge de profit. Mais avec une hausse de 25 %, c’est une faible possibilité de baisser autant son prix. Il peut aussi tenter de trouver de nouveaux débouchés hors des États-Unis, ou encore produire aux États-Unis. Globalement, il y a fort à parier que la hausse de prix va se répercuter par une baisse du volume des affaires des entreprises canadiennes et une réduction de la croissance économique au pays.

Une autre possibilité est que le prix de base (100 $) soit déprécié par une baisse de la valeur du dollar canadien sur le marché des changes et que le tarif de 25 % soit appliqué sur un prix minoré. Cette dépréciation du dollar canadien rendrait toutefois les produits américains plus chers pour les Canadiens et les inciterait à diminuer leurs achats de produits américains. Rien pour améliorer la balance commerciale déficitaire des États-Unis.

À moyen et long terme, il est aussi possible que les exportateurs cherchent à contourner les tarifs douaniers américains en produisant directement aux États-Unis. Il s’agit là de décisions importantes qui impliquent souvent des investissements de taille, décisions plus faciles à prendre dans un climat stable et serein. 

La « logique » des tarifs selon Tump

C’est le nouveau président du Council of Economics Advisor, le conseil économique de la Maison-Blanche, Stephen Miran[6], qui a mis de l’avant l’argument du tarif optimal, et proposé comme référence un tarif de 20 %. Selon lui, un grand pays, tels les États-Unis, avec un grand pouvoir d’achat, peut s’enrichir en faisant varier le volume de ses importations et exportations et, en conséquence, leurs prix. À cette fin, les droits de douane sont les outils pour y parvenir. Les exportateurs vers le marché américain, pour ne pas perdre cet important marché, seraient forcés de réduire leurs prix. 

Stephen Miran cite une étude qui fait référence à un tarif optimal de 20 %. Or, selon les deux économistes auteurs de la recherche[7], l’un du Massachusetts Institute of Technology et l’autre de l’université de Californie à Berkeley, cette référence au chiffre de 20 % provient d’un modèle économique le plus simple possible et constitue en fait « un excellent outil pédagogique, mais pas un guide utile pour la politique publique ». De plus, les deux économistes insistent pour dire que leur modèle ne tient pas compte d’une riposte possible des pays face à des barrières commerciales plus élevées et qu’ils accepteraient de s’appauvrir et n’imposent pas à leur tour leurs propres droits de douane. 

Le conseiller Miran propose aussi une dépréciation du dollar américain qui permettrait, selon lui, de « remodeler fondamentalement les systèmes commerciaux et financiers mondiaux »[8]. Il estime que le dollar américain est surévalué, et défavorise en conséquence les exportations américaines, compte tenu du fait que le dollar américain est détenu comme réserves internationales par de nombreux pays, stimulant ainsi la demande de dollars américains sur le marché des changes[9]. Il oublie de dire cependant que la dette du gouvernement américain ne cesse d’augmenter, de 5 623 milliards de dollars en 2001 à 30 900 milliards en 2023, et qu’un quart de son financement est le fait de non Américains qui achètent des titres du gouvernement américain. L’achat de ces titres par des non-Américains se traduit par une demande de dollars américains, et, par conséquent, à une appréciation du dollar américain. Une bonne partie de l’épargne mondiale est drainée vers notre voisin du Sud. 

L’expérience de 2018

À son premier mandat, le président Trump a aussi lancé une guerre des tarifs, de moindre envergure toutefois. À la lumière de cette expérience, on constate d’une part que les pays impactés par les droits de douane américains ont riposté et ont imposé des tarifs douaniers aux producteurs américains; et, d’autre part, selon le Peterson Institute for International Economics, un groupe américain de réflexion privé et indépendant, il a été démontré, étude après étude, que les tarifs prélevés ont été entièrement transmis aux consommateurs et ont alimenté l’inflation. Les recettes engendrées par les tarifs ont été insuffisantes pour compenser les pertes subies par les consommateurs.

Le président Trump soutient aussi que les tarifs douaniers vont enrichir le Trésor américain. Or, le gouvernement américain a été forcé de compenser, en partie du moins, les industries et les travailleurs touchés par les ripostes étrangères. De plus, on estime, uniquement en fonction des ripostes chinoises par rapport aux produits agricoles américains entre 2018 et 2020, que les aides versées aux fermiers américains représentaient 92 % des recettes provenant des importations de produits chinois.

À l’évidence, les tarifs douaniers ne sont pas le pactole annoncé par le gouvernement Trump.

Les réactions

En 1930, le Canada a réagi au Smoot-Hawley Tariff Act en levant des tarifs sur les produits américains avant que la loi n’entre en vigueur ! En 2018, il a imposé des tarifs ciblés à certains produits américains importés au pays et vient d’annoncer une politique semblable en 2025. Le délai de répit de trente jours permettra de raffiner la riposte de l’ensemble de la société canadienne et non pas seulement celle du gouvernement fédéral.

Il va de soi, compte tenu des tailles respectives des deux économies, que le Canada sera plus affecté dans cette guerre commerciale que les États-Unis. Mais devrions-nous accepter de nous appauvrir sans réagir ?

Les mesures américaines visent aussi la Chine, un joueur beaucoup plus important que le Canada. Les Chinois deviendraient-ils des alliés objectifs du Canada ? Quant à l’Union européenne, également dans le viseur du président Trump, on peut espérer qu’elle pourra surmonter ses divisions nationales et agir d’une seule voix. 

Le président Trump, avec sa guerre tarifaire, veut remodeler le système commercial mondial, à l’avantage des États-Unis qui seraient selon lui à l’heure actuelle les grands perdants. Il y a fort à parier qu’il va assurément y semer la pagaille et l’expérience historique nous a montré que les batailles tarifaires ont fait des perdants dans tous les camps, les petits comme les grands. 

[1] Cette suspension d’une durée d’un  mois n’altère en rien la présente analyse. 

[2] ERCOLAO, Marc et Andrew FORAN (21 janvier 2005). Remettre les pendules à l’heure en matière de commerce entre le Canada et les États-Unis, Services économiques Banque TD.

[3] Idem.

[4] À l’exception notable du bois d’œuvre canadien qui se voit imposer des droits compensateur et antidumping d’environ 14 %. Le tarif de 25 % s’y ajoutera pour une hausse de près de 40 %.

[5] ACEUM : l’Accord Canada-États-Unis-Mexique que vient de renier le président, accord qu’il avait lui-même entériné, en invoquant le fallacieux argument «d’urgence nationale». Peut-on vraiment faire confiance à un tel individu pour renégocier en 2026, ou avant, le renouvellement de l’ACEUM ?

[6] MIRAN, Stephen (November 2024). A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System, Hudson Bay Capital.

[7] RODRIGUEZ-CLARE, Andres et Arnaud COSTINOT (23 janvier 2025). «Mettre les tarifs douaniers à 20 % est une très mauvaise idée, qui pénalisera les États-Unis» : la réponse de deux économistes auxquels la Maison Blanche s’est référée, Le Monde.

[8] VAILLES, Francis (24 janvier 2025). Dans la tête de Donald Trump, La Presse+.

[9] Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le dollar américain est hégémonique et considéré comme une monnaie internationale, ce qui a conféré d’énormes avantages à l’économie des États-Unis. Le président Trump veut maintenir cette position dominante lorsqu’il menace de tarifs douaniers (encore !) certains pays du BRICS, dont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, s’ils tentent de s’éloigner du dollar avec une autre monnaie internationale. Il veut donc un dollar «fort» lorsqu’il achète et dollar «faible», lorsqu’il vend. Or, sur le marché des changes, une monnaie ne peut pas avoir en même temps deux prix différents. Si cela se produisait les mécanismes d’arbitrage, aujourd’hui automatisés, stimuleraient les achats du dollar sous-évalué et les ventes du dollar surévalué. À terme, avec ce jeu de demande et d’offre, il n’y aurait plus qu’un seul prix et non deux.

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