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Un projet d’habitations à Piedmont en pleine zone inondable
Nicolas Michaud – Après que Louise Guertin, une citoyenne engagée, ait d’abord exprimé ses préoccupations auprès du maire de Piedmont à propos de l’éventuelle construction d’un projet immobilier sur une bande inondable, cette femme s’est ensuite tournée vers le Journal qui a accepté de creuser la question et de partager les résultats de son enquête.
Depuis quelques mois, un projet intégré d’habitations multifamiliales est présenté au cours des dernières séances du conseil municipal de Piedmont. Situé entre le boulevard des Laurentides et la rivière du Nord, l’ancien site du Motel de la Rivière (aujourd’hui démoli) fera bientôt place à quatre bâtiments totalisant 70 logements : les Résidences Wilnor II. Un projet qui pourrait en séduire plusieurs… s’il n’était pas directement construit sur un espace à forts risques d’inondation. Naguère, si une telle situation a longtemps été tolérée alors qu’il a été, à maintes reprises, prouvé que certaines Municipalités ont intentionnellement délivré des permis pour construire sur des lotissements inondables afin, entre autres, d’augmenter leur principale source de revenus tirées des taxes foncières, les législateurs québécois ont aussitôt tenté d’éradiquer cette tendance préjudiciable à coup de lois.
Nouvelle réglementation
Reculons un peu dans le temps. Devant l’ampleur des impacts provoqués par les inondations printanières en 2017 et en 2019, et pour empêcher que d’autres catastrophes similaires ne se reproduisent, le gouvernement du Québec a été forcé de repenser sa manière de planifier le développement de son territoire en milieu inondable. Pour ce faire, il s’est appuyé sur une perspective de gestion des risques dans l’objectif d’offrir une meilleure protection des personnes, des biens et de l’environnement.
C’est ainsi qu’est né le régime transitoire de gestion des zones inondables, des rives et du littoral qui est entré en vigueur le 1er mars 2022. En modifiant l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement dans les milieux hydriques, ce régime transitoire prône le principe de la prudence anticipative. Désormais, certains travaux en secteur inondable doivent respecter des normes strictes et nécessitent l’approbation des autorités municipales.
Toutefois, pour éviter qu’une Municipalité récalcitrante n’assouplisse trop ses règles d’urbanisme et permette à nouveau l’édification de nouvelles propriétés résidentielles sur des terrains inondables, les législateurs ont convenu que le règlement découlant du régime transitoire ait toujours préséance sur tout règlement municipal portant sur le même objet; à moins d’obtenir, à la suite d’une analyse du cas, une permission exceptionnelle émanant du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.
Ce régime transitoire prévoit notamment l’interdiction d’implanter tout nouveau bâtiment résidentiel principal en littoral, en rive ou en zone inondable de grand courant. Or, comme l’indique la cartographie des zones inondables publiée par Géo-Inondations1, l’emplacement des futures Résidences Wilnor II se retrouve sur une telle zone. Plus grave encore, d’après la plus récente carte de la MRC des Pays-d’en-Haut illustrant les zones de sédimentation et d’érosion, le territoire de Piedmont est fortement touché par plusieurs zones d’érosion.
Historique d’érosion et d’inondation
Si le passé est garant de l’avenir, il faut se rappeler qu’une sérieuse inondation avait déjà frappé le secteur concerné en 1981. En conséquence, un glissement de terrain avait soudainement fait perdre environ 6 pieds de terrain à des propriétaires du coin. Pour remédier à cette fâcheuse condition, le ministère de l’Environnement leur avait proposé une soixantaine de plans pour végétaliser leurs berges. Près de 43 années plus tard, cette végétalisation s’est montrée fructueuse pour protéger efficacement la bordure de leur terrain adjacent à la rivière.
Voir carte géographique de 1959 de la région
En contraste, le rivage du terrain voisin au leur, celui de l’ancien Motel de la Rivière et des futures Résidences Wilnor II, nécessiterait un reboisement. À ce sujet, selon les données observées par ENVIRO-PLUS Consultants le 4 novembre 2017, ce bord de la rivière du Nord est occupé par un talus d’environ 3 mètres de hauteur et son littoral est situé vers le tiers inférieur du talus, là où l’eau séjourne pendant des périodes suffisamment longues pour engendrer la présence d’espèces végétales hydrophiles. À partir de ces informations, il est possible d’indiquer que la rive est d’une largeur de 10 mètres comme le prévoit le Règlement sur les activités dans des milieux humides, hydriques et sensibles pour les terrains riverains ayant un talus de 5 mètres de hauteur ou moins. De ce fait, une bande végétalisée d’une certaine largeur, mesurée à partir de la limite du littoral, devrait être restaurée afin de rétablir minimalement deux strates de végétation parmi celle herbacée, arbustive ou arborescente comme c’est le cas lors des travaux d’agrandissement d’un bâtiment principal résidentiel riverain déjà existant. Pour cette raison, la plantation d’arbres feuillus aux racines profondes deviendrait essentielle pour assurer la pérennité du site contre l’érosion naturelle des sols.
Assurabilité du projet
D’après le Regroupement des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ), les changements dans les critères d’admissibilité établis par l’assureur pour déterminer si une personne peut bénéficier d’une couverture d’assurance causent déjà des problèmes auprès de plusieurs propriétaires riverains au Québec. Alors que la cartographie des zones inondables sera mise à jour dès l’automne 2024, certains clients risquent de ne plus recevoir une couverture contre les inondations de la part de leur compagnie d’assurance. Considérant que le fait de ne plus pouvoir accéder à ce type de couverture contraindra probablement certains citoyens à déménager, il serait donc illogique d’implanter le projet des Résidences Wilnor II sur un terrain qui priverait ses propriétaires d’accéder à cette protection contre les inondations.
Accessibilité aux logements abordables
Enfin, d’après le témoignage de Louise Guertin, ce projet d’habitations multifamiliales serait faussement présenté comme étant une occasion idéale de répondre à la crise du logement. Selon les plans et les documents préparés par BC2, une firme-conseil en urbanisme et en aménagement du territoire, et STGM, l’une des principales firmes d’architecture québécoise, les Résidences Wilnor II seraient présentées comme un projet de copropriété par actions où chaque condo serait vendu entre 500 000 $ et 700 000 $.
Selon les données collectées par Centris, le site Web qui soutient les courtiers et les professionnels de l’immobilier, le prix médian des propriétés dans la région des Laurentides au premier trimestre de 2024 était de 490 000 $ pour une propriété unifamiliale, de 345 000 $ pour une copropriété et de 552 000 $ pour une propriété plex (2 à 5 logements). En comparaison, l’achat d’un condo aux Résidences Wilnor II resterait donc à la portée de main d’une minorité bien nantie.
De plus, alors que l’usage de résidence de tourisme est interdit sur le territoire de Piedmont, il est reconnu que les propriétés qui suivent un modèle d’achats par actions peuvent parfois se transformer en propriétés de type Airbnb. Ainsi, cette façon de faire ne permet pas de répondre aux besoins des populations locales qui n’ont pas forcément le luxe d’être riches pour avoir le droit de se loger convenablement.
1. (www.geoinondations.gouv.qc.ca) est une plateforme en ligne qui permet une consultation gratuite des informations relatives aux zones inondables au moyen d’une carte interactive