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Les politiques commerciales du Canada depuis 1850 (première partie)
Henri Beauregard – Jusqu’à tout dernièrement, soit avant l’arrivée récente de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la politique commerciale actuelle du Canada en ce qui a trait à ses échanges avec l’étranger en était une d’ouverture. En effet, les tarifs douaniers sont, sauf exceptions, très faibles, voire nuls, le pays ayant signé plusieurs ententes de libre-échange dont trois avec son principal partenaire commercial, les États-Unis. Cette situation est le résultat d’un long cheminement historique, non linéaire, où les politiques favorables à l’ouverture ou à la protection du marché intérieur canadien ont été mises de l’avant.
Le Traité de réciprocité
Entre 1854 et 1866, les États-Unis, le Canada et Terre-Neuve sont signataires du Traité de réciprocité. Cette entente commerciale prévoyait l’élimination complète des tarifs sur les matières premières. En 1866, comme le permettait l’entente, les États-Unis dénoncèrent unilatéralement ce traité. Par la suite, le Canada tenta à maintes reprises d’obtenir un accès préférentiel au marché américain, mais sans succès. Ces échecs pavèrent la voie à la Politique Nationale.

Commerce extérieur, Séries G473-487, et CANSIM, Tableau 384-0007.
1 : Politique Nationale. 2 : 1890-1929. 3 : Crise économique des années 1929 – 1930 4 : Après la Deuxième Guerre mondiale : GATT, OMC, ALE, ALENA
Note : Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les recettes douanières représentaient environ 75 % de l’ensemble recettes fiscales – impôts et taxes – du gouvernement fédéral. En 2008, cette proportion est d’un peu plus de 2 %.

La Politique nationale
Durant la campagne électorale fédérale de 1878, le conservateur John A. Macdonald met à son programme électoral une politique de hausse des tarifs douaniers pour protéger les industries canadiennes. Les libéraux de Mackenzie sont d’accord avec l’imposition de tarifs douaniers mais uniquement pour assurer des revenus au gouvernement. À cette époque, les recettes douanières représentaient les trois quarts des recettes fiscales. C’est le courant protectionniste qui emporta largement les faveurs de l’électorat et les conservateurs formèrent le gouvernement.
Le principal élément de la Politique nationale de 1879 fut de développer l’industrie canadienne avec la protection douanière. Ainsi, on laissa pénétrer au pays les matières premières à bas prix – coton, laine, sucre brut, mélasse, etc. – mais on imposa des tarifs douaniers élevés sur les biens susceptibles de concurrencer les produits canadiens – tissus, sucre raffiné, vis, moteurs, etc.
Cette orientation de la politique commerciale canadienne était critiquée par certains, notamment le Parti libéral, qui avançent de nouveau l’idée d’un libre-échange avec les États-Unis. Les libéraux reviennent au pouvoir en 1896 et sir Wilfrid Laurier est premier ministre. Durant son quatrième mandat consécutif, le gouvernement libéral annonce, à la surprise générale, la conclusion d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. Face à un tollé général, le gouvernement déclenche en 1911 des élections sur ce thème. Avec leur slogan « No truck nor trade with the Yankee », les conservateurs – ou tories – battirent les libéraux libre-échangistes. Cette question du libre-échange ne revint comme thème de campagne électorale qu’en 1988, soit plus de 75 ans plus tard, avec les deux mêmes partis mais avec des positions inversées ! Les conservateurs de Brian Mulroney étaient pour le libre-échange avec les États-Unis et les autres partis, dont les libéraux, contre.
La première moitié du XXe siècle
Jusqu’à la crise économique de 1929, le Canada ne modifia guère sa structure tarifaire, mis à part l’adoption d’un régime préférentiel avec le Royaume-Uni et les pays du Commonwealth. Toutefois, contrairement à ce qui avait été envisagé, ce régime s’avéra incapable de stimuler le commerce entre les partenaires. Durant la crise des années 1930, le Canada imita ses partenaires commerciaux et augmenta ses tarifs douaniers.
La deuxième moitié du XXe siècle
Le Canada participa activement aux négociations qui menèrent au premier accord multilatéral d’envergure, l’Accord sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) entré en vigueur en 1948. Par la suite, le pays participe à tous les cycles de négociations entamées dans le cadre du GATT et entérine tous les accords en découlant dont celui, évidemment, de la fondation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995. L’ouverture du Canada au libre-échange n’est toutefois pas une question de débat public1.
En 1988, cependant, le thème majeur de la campagne électorale est l’éventuel accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. La victoire des conservateurs, favorables à une telle entente, permet la signature de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE), qui entre en vigueur en 1989. Il sera suivi de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), accord semblable à l’ALE, regroupant le Canada, les États-Unis et le Mexique. Par la suite, le Canada a conclu d’autres accords de libre-échange bilatéraux avec plusieurs pays et en négocie présentement avec d’autres. Le Canada a aussi ratifié une vingtaine d’accords bilatéraux sur la protection des investissements étrangers (APIE). Manifestement, le pays joue la carte du libre-échange.
Aujourd’hui, les moyennes de droits de douane appliqués aux importations canadiennes sont très faibles. Cependant, il faut aussi tenir compte que dans certains secteurs, les tarifs maximas peuvent être très élevés, et ce, dans les secteurs agricoles où le pays a adopté une politique de la « gestion de l’offre ». Dans ces secteurs, pour assurer un certain niveau de revenu aux producteurs, la production est contingentée – ce qui se traduit par une hausse des prix dont le fardeau est transféré aux consommateurs. Or, pour assurer le succès de tels contingentements, il faut limiter, voire interdire, les importations qui risqueraient de faire baisser les prix. Historiquement, le Canada a contingenté les importations de lait, d’œufs et de volailles – les secteurs visés par la politique de gestion de l’offre. À la suite des dernières négociations multilatérales dans le cadre de l’OMC, les quotas d’importation ont été transformés en tarifs. Les niveaux de ces tarifs devaient au départ assurer la même protection qu’un quota. Il est cependant évident que pour les États-Unis et l’Union européenne, cette politique de la gestion de l’offre constitue un sérieux sujet de mésentente et s’est invitée aux tables de négociation lors du renouvellement de l’ALENA et de l’entente de libre-échange avec l’Union européenne. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Deuxième partie, le mois prochain : Les récentes relations commerciales (tumultueuses) Canada-États-Unis.
1. Il en fut tout autrement de l’importance des entreprises étrangères – principalement américaines – dans l’industrie manufacturière, particulièrement durant les années 1970.