Avril 1849

Daniel Machabée
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L’incendie du Parlement du Canada-Uni

Daniel Machabée – Anglo-Saxons, vous devez vivre pour l’avenir; votre sang et votre race seront désormais votre loi suprême, si vous êtes vrais envers vous-mêmes. Vous serez Anglais, dussiez-vous n’être plus Britanniques. Au combat, c’est le moment ! » Montreal Gazette, 25 avril 1849.

Montréal fut, un temps très court il faut l’admettre, la capitale politique du Canada-Uni. Rappelons que le but ultime de cette union politique était de mettre les francophones en minorité afin qu’ils s’assimilent comme le recommandait le tristement célèbre lord Durham dans son rapport de 1839. À l’époque, la capitale de la colonie est itinérante. En 1844, elle quitte la ville de Kingston dans le Haut-Canada pour s’établir à Montréal. La chambre d’Assemblée, quant à elle, siégera au marché Sainte-Anne, sis à la Place d’Youville. Lors du déménagement de la capitale, toutes les archives sont transportées sur le fleuve par bateau, seul moyen de transport rapide à l’époque, puisque le chemin de fer n’arrivera qu’en 1852 avec la ligne du Grand Tronc.

Cette capitale vagabonde explique bien la politique de l’époque. La période qui suit les Rébellions est une période de grande instabilité politique axée sur le développement de l’industrialisation au Canada. Les tensions ethniques entre francophones et anglophones ne sont pas complètement éteintes et l’écrasement des Rébellions n’a pas assouvi la haine des anglophones envers tout ce qui est francophone ou canadien. La lutte pour le gouvernement responsable s’engage; elle opposera les réformistes aux torys, entre les modérés et les radicaux.

Le contexte économique et politique des années 1840

En 1844, des élections générales ont lieu. Les torys sont majoritaires avec 37 députés et le gouverneur Metcalfe nomme ses principaux alliés au Conseil exécutif. Malgré l’élection de 27 députés patriotes et de libéraux, la voix des francophones est étouffée par la majorité tory. Cependant, bien qu’elle fût en sourdine, la voix des réformistes, portée par Robert Baldwin au Haut-Canada et Louis-Hippolyte Lafontaine au Bas-Canada se fait de plus en plus forte et finira par renverser les torys en 1848. Ces réformistes obtiendront la responsabilité ministérielle en 1848, demande incessante des parlementaires depuis 1791. 

La province du Canada-Uni vit une crise économique importante dans les années 1840. Pour protéger l’économie de sa colonie, Londres adopte en 1843 le Corn Act qui garantissait sur les marchés anglais un tarif favorable pour le blé et la farine canadiens. Or, Londres met fin à sa politique protectionniste en 1846 en raison de la prospérité économique européenne et favorise désormais une politique de libre-échange. La réaction des marchands de Montréal, alors en vaste majorité anglophone et conservatrice pour ne pas dire orangiste, est très négative. Ils craignent d’être abandonnés par Londres et discutent des différentes alternatives politiques : l’annexion aux États-Unis (qu’ils ont pourtant toujours combattue), la fédération des colonies et territoires de l’Amérique du Nord britannique et l’indépendance du Canada. D’ailleurs, deux associations verront le jour dans le sillage de la crise économique : l’Association pour l’annexion et la British American League

Après 1847, les craintes se confirment et les faillites s’accumulent. La valeur des propriétés est en forte baisse dans les villes, notamment dans la capitale. Les élections de 1848 viennent changer la dynamique politique drastiquement. Depuis la Conquête, le pouvoir politique est exercé par le gouverneur nommé par Londres et le conseil exécutif, où les torys étaient toujours représentés en nombre. Or, les élections de 1848 viennent les mettre en minorité pour la première fois. L’alliance entre les réformistes du Haut et du Bas-Canada brise la suprématie des torys et l’obtention de la responsabilité ministérielle vient d’enlever le pouvoir au gouverneur de s’opposer aux lois votées par la Chambre d’assemblée contrôlée par les réformistes. 

Le Rebellion Losses Bill

En 1840, au cours de la dernière session du Parlement du Haut-Canada, les députés avaient voté une loi indemnisant certaines personnes pour des pertes dues aux soulèvements de 1837. Une somme de 40 000 £ avait été votée, mais comme les coffres étaient vides, elle n’a jamais été distribuée. De son côté, le Conseil spécial du Bas-Canada avait émis une ordonnance en 1838 afin d’indemniser les personnes ayant subi une perte financière en fonction de leur loyauté à la Couronne britannique. Le 28 février 1845, les députés du Parlement du Canada-Uni adoptent un texte de façon unanime pour indemniser les habitants du Bas-Canada dont les propriétés furent brûlées ou détruites lors des insurrections de 1837-38. Une commission est aussitôt mise sur pied afin d’étudier les nombreuses réclamations qui s’accumulent depuis 1838 et déterminer lesquelles sont justifiées et fournir une estimation de la somme à rembourser qui s’élèvera à 241 965 £. Le Parlement sera dissout le 6 décembre 1847 sans que la question puisse être réglée. 

Les élections générales de janvier 1848 changent la composition de la Chambre et mettent, comme nous le disions, les torys en minorité. Comme dans tout gouvernement dictatorial ou lorsqu’une clique contrôle le pouvoir depuis longtemps, la perte du pouvoir ne se fait jamais pacifiquement. Le 7 mars, le gouverneur Metcalfe appelle Baldwin et Lafontaine au Conseil exécutif. La question des indemnités des victimes des Rébellions revient sur le tapis. Or, il est question, cette fois-ci, d’indemniser non seulement les propriétaires lésés des Rébellions, mais également les familles des patriotes qui ont tout perdu lors des représailles de l’armée et des loyalistes anglais qui ont saccagé et brûlé des villages entiers. L’opposition tory dénonce alors violemment le vœu du gouvernement de « payer les rebelles » et se montre très hostile à commencer l’étude de cette question. Le parti tory fait de l’obstruction et propose des amendements, déclarant notamment que la « Chambre n’a pas le droit de se saisir de cette proposition » puisque le gouverneur n’a pas recommandé lui-même à se pencher sur cette question.

Du 13 au 20 février 1849, les débats sont extrêmement houleux et acerbes. La violence n’est pas seulement verbale, mais également physique. Les spectateurs qui assistent aux débats s’échauffent eux aussi et le président de l’Assemblée doit les faire expulser. John A. MacDonald, alors député de Kingston, provoque un ministre en duel, car il est opposé aux indemnisations. Sa posture anti-francophone n’étonnera personne : ce sera le même qui fera pendre Louis Riel et mettra à sa place « ces chiens du Québec » quelques années plus tard. 

Le 23 février 1849, Lafontaine dépose le projet de loi intitulé Acte pour indemniser les personnes dans le Bas-Canada, dont les propriétés ont été détruites durant la rébellion dans les années 1837 et 1838. Le 9 mars, le projet de loi est adopté par une majorité de 47 à 18. La sanction de la loi par le gouverneur est faite le 25 avril 1849. 

De la protestation à l’émeute

À la demande du journal anglophone The Gazette, 1500 personnes se réunissent au Champ-de-Mars à Mont-réal le 25 avril 1849. « On vit arriver au pas de course de différents côtés, et fondre sur les chambres du Parlement en criant “destruction de la chambre !” cette foule d’émeutiers et de tapageurs dont l’extérieur annonçait qu’ils n’avaient rien à perdre du pillage1. » Le ton est menaçant et accusateur contre la trahison du gouverneur Elgin et d’une domination politique canadienne-française. La foule accuse aussi l’Angleterre d’avoir abandonné ses loyaux sujets ! On jette des roches sur l’édifice et plusieurs manifestants pénètrent à l’intérieur du Parlement pour tout saccager. On coupe le gaz pour semer la zizanie et la panique. Les députés, alors en pleine session parlementaire, tentent de fuir, mais les sorties sont bloquées. Ils sont chahutés et certains reçoivent, en plus des quolibets, des œufs pourris et des roches. 

Puis, l’incendie se déclare, les flammes et la fumée s’échappant des fenêtres. Les pompiers sont rapidement alertés, mais la foule hostile demeurée à l’extérieur leur interdit l’accès, sectionnant même les boyaux d’arrosage. L’armée, cantonnée par très loin, refuse d’intervenir. L’incendie détruit totalement le Parlement et plus tragiquement, détruit en grande partie les livres et les archives du Parlement2. Laissons les Sœurs Grises, voisines du Parlement, témoigner : « Mais quel spectacle horrible ! Elles aperçurent à la lueur des fanaux une multitude immense de monde formant un cercle autour du parlement. Les uns étaient armés de longs bâtons à l’aide desquels ils brisaient les châssis qui, en tombant, faisaient un bruit épouvantable. Les autres jetaient de grosses pierres à l’intérieur de la maison. D’autres mettaient le feu à tous les coins avec des torches allumées. Tout le vacarme s’exécutait avec un fracas et une rapidité extraordinaire. En sorte qu’en moins de trois quarts d’heure, ce vaste édifice était d’un bout à l’autre en proie aux flammes3. »

Après l’incendie, les émeutiers parcourent les rues en donnant la chasse aux réformistes qui doivent fuir la menace. Les résidences et les commerces des réformistes sont pillés et saccagés. On évite de peu la guerre civile, car les réformistes ne répliqueront pas. Plusieurs incendies seront déclenchés au cours des mois suivants, notamment l’hôtel Cyrus où se déroulait le procès des gens qui avaient ouvert le feu sur les émeutiers en défendant la maison de Lafontaine.

Montréal perdit son titre de capitale du Canada-Uni à la suite de ces événements. On décida alors de trouver un emplacement permanent et neutre pour la capitale : Ottawa. Montréal retrouvera la prospérité économique dans les années suivantes, grâce à l’arrivée des premières manufactures et de l’industrialisation. Mais encore une fois, les conflits ethniques se soldent par un refoulement des revendications francophones afin de rappeler qui avait gagné sur les Plaines en 1759 et faire comprendre à ces gens soi-disant sans histoire et sans culture qu’ils sont condamnés à s’assimiler.

1. La Minerve, 26 avril 1849, p.2.

2. Plus de 23 000 livres sont détruits pendant l’incendie. 

3. Archives des Sœurs grises, citées par Radio-Canada.

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