Délire à la Maison-Blanche

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Trump bafoue les règles du commerce

Henri Beauregard – Au moment d’écrire ces lignes, le président Trump, après une débandade de trois jours sur les marchés boursiers et obligataires, a annoncé une pause de 90 jours sur l’application des tarifs réciproques. On ne sait évidemment pas s’il va encore changer d’avis dans les prochains jours. L’analyse présentée sur ces tarifs n’en demeure pas néanmoins pertinente pour saisir la dérive, voire le délire de la Maison-Blanche en matière de commerce international.

Les négociations commerciales internationales se font sur la base de la réciprocité et d’avantages mutuels. Un pays estimera qu’il peut lui être avantageux d’ouvrir son marché intérieur aux producteurs étrangers si ces derniers le font aussi : un partenaire fait une concession afin d’en obtenir une de l’autre partie (le give and take en anglais). Par exemple, le Canada diminuera les droits de douane sur le vin importé d’Argentine si ce dernier accepte de faciliter l’accès à un produit canadien sur le marché argentin. De cette façon, on estime que les deux parties sont gagnantes à l’ouverture de leurs frontières. Cette vision a animé toutes les négociations visant la libéralisation du commerce mondial, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, sous le leadership des États-Unis1. Au contraire, pour le président Trump, il n’y a que des gagnants et des perdants : ce que l’un gagne, l’autre le perd. Se disant perdant2, voire exploité par tous les autres pays, il veut tout gagner.

Ensuite, les négociations sont basées sur le principe de la non-discrimination. Deux dispositions appuient ce principe de la non-discrimination qui oblige les signataires à accorder un même traitement pour des produits et services comparables. Il y a d’abord la clause de la nation la plus favorisée (NPF). Celle-ci interdit le prélèvement de droits de douane différenciés. C’est-à-dire qu’une faveur accordée à l’un doit l’être à tous. Un droit de douane de 10 % sur les vêtements du Brésil, consenti par le Canada, devra être accordé également à tous les autres pays signataires de l’entente. La clause NPF est la clé de voûte des ententes commerciales internationales multilatérales (entre plusieurs pays). Certaines exceptions sont toutefois permises, nous y reviendrons.

Les tarifs réciproques – voir encadré ci-bas – dernièrement annoncés par la Maison-Blanche font voler en éclats cette clause : ce sont des tarifs douaniers particuliers, donc différenciés, appliqués à 185 pays ! 

Lecture du graphique : en 2024, sur le plan des échanges de marchandises, les États-Unis enregistrent un déficit commercial de 295,4 milliards de dollars américains avec la Chine. Soulignons que le déficit global des États-Unis est 920 G$US en 2024. Par ailleurs, mentionnons un fait oublié par le président Trump : le commerce international des services des États-Unis a rapporté l’an dernier près de 1 000 milliards de dollars en recettes d’exportation à son pays, principalement dans les domaines allant des services informatiques à l’informatique en nuage. La balance commerciale internationale des services des États-Unis a alors enregistré un surplus de près de 300 milliards de dollars.
Source : 5 février 2025. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle /2138265/deficit-commercial-etats-unis-creuse

La seconde disposition visant la non-discrimination, la clause du traitement national, complète la clause NPF, une fois que le produit importé est admis sur le territoire national. Pour des produits similaires, il doit y avoir égalité de traitement entre les produits étrangers et nationaux, en ce qui a trait par exemple à la taxation (il ne peut y avoir une taxe plus élevée pour les produits étrangers) ou à la réglementation (il ne peut y avoir d’exigences supplémentaires pour les produits importés). 

Le président Trump soutient que la taxe du gouvernement fédéral sur les produits et services (TPS) est discriminatoire parce qu’elle s’applique aux produits américains vendus en sol canadien. Or, il n’y a là aucune forme de discrimination puisque la taxe est appliquée à tous les produits qu’ils soient d’origine canadienne ou étrangère.

Les exceptions

Tout accord ou traité commercial prévoit toujours des exceptions à l’application de principes généraux. Ainsi, premier domaine d’exceptions, certains produits spécifiques peuvent être exclus. Ce fut le cas des produits agricoles en 1950. Près de 80 % du commerce des produits du textile et du vêtement furent également exclus des règles communes, pendant de longues périodes de temps. Un pays peut aussi négocier pour protéger certains secteurs de son économie à la concurrence étrangère. Ainsi, le Japon le fait avec la production du riz, ou le Canada avec son système de gestion de l’offre, régulièrement attaqué par le président Trump. Signalons que les États-Unis protègent de façon similaire leurs producteurs du sucre.

Le deuxième domaine d’exceptions concerne les pays ayant des accords de libre-échange avec d’autres nations. Puisque ces pays n’ont aucun droit de douane dans leurs échanges, la stricte application de la clause NPF les aurait amenés à baisser à zéro tous leurs tarifs pour tous les autres pays signataires adhérents à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces pays sont autorisés à continuer à adhérer à ces ententes de libre-échange sans appliquer la clause NPF aux autres parties contractantes.

Le troisième domaine d’exceptions est relatif aux actions que peut prendre un gouvernement si le pays subit des perturbations économiques importantes causées par ses échanges commerciaux internationaux. Il peut se protéger en cas de difficultés de sa balance des paiements ou si des importations menacent un secteur industriel de son économie. Ces mesures d’urgence doivent être temporaires, non discriminatoires et permettent aux pays exportateurs d’obtenir des compensations ou de prendre des mesures de rétorsion. Le président Trump invoque de façon abusive des menaces à la « sécurité » des États-Unis pour justifier ses actions.

Le règlement des différends

Un différend prend forme lorsqu’un pays adopte une mesure de politique commerciale qu’un membre de l’OMC ou plusieurs estiment comme étant une violation des règles de l’OMC.

Avec la création de l’OMC en 1995, les pays signataires de l’Accord ont amélioré la procédure des règlements des différends avec, entre autres, un calendrier établissant clairement les différentes étapes.

D’abord, les parties prenantes au litige doivent discuter entre elles pour tenter de s’entendre. Deuxième étape, si cela ne fonctionne pas, le pays plaignant peut demander la formation d’un « groupe spécial » à l’Organe de Règlements des différends (ORD) de l’OMC. Ce groupe, composé d’experts en la matière, doit déterminer si la mesure commerciale incriminée est effectivement contraire aux obligations découlant de l’OMC et recommander des mesures pour la rendre conforme aux règles établies. Si la décision du groupe spécial n’est pas contestée, l’ensemble de la procédure peut s’étaler sur une période d’un an. Si un pays commet une faute, il doit la corriger. S’il refuse, il doit offrir une compensation ou subir une sanction appropriée. 

Il est cependant possible de faire appel de la décision du groupe spécial. L’appel auprès de l’Organe d’appel permanent (OA) peut confirmer, modifier ou infirmer les constatations et conclusions du groupe spécial. L’OA se compose de sept juges, nommés pour quatre ans. Ils doivent être au moins trois pour étudier un appel.

Le recours à l’OA avait été prévu comme étant une action exceptionnelle. Dans les faits, c’est un outil de plus en plus utilisé. Ses décisions ont en conséquence une influence croissante sur les relations commerciales internationales. 

Les États-Unis sont le pays qui enregistre le plus de plaintes auprès de l’OMC et celui contre lequel on en dépose le plus. Ils considèrent que le rôle de l’OA est tout simplement d’appliquer les règles de l’OMC et non de combler les lacunes des textes établis lors des négociations. Selon eux, les vides des traités doivent être réglés directement par la négociation entre États. Examinons un cas de figure sino-américain.

L’exemple des entreprises d’État chinoises

En 2011, les États-Unis établissent des mesures antidumping3 contre des entreprises d’État chinoises, estimant qu’elles bénéficient de subventions massives du gouvernement chinois, entraînant une surproduction qui inonde les marchés mondiaux. Les règles de l’OMC désignent, sans plus de précision, les aides apportées par tout « organisme public » comme étant une subvention. Selon les États-Unis, les entreprises d’État en Chine sont des organismes publics alors que cette dernière estime que non puisqu’elles ne détiennent aucune autorité ou fonction gouvernementale.

L’OA a accepté l’argumentaire de la Chine en s’appuyant sur des déclarations et des projets d’articles non inclus dans les accords de l’OMC. L’OA a aussi défini de façon restrictive ce qu’est un « organisme public ». À l’OMC, cette décision a fait jurisprudence, si bien qu’une entreprise, même majoritairement contrôlée par l’État, ne sera considérée comme étant un organisme public uniquement si le plaignant réussit à prouver qu’elle est investie d’une autorité d’État.

Face à cela, les États-Unis décidèrent de bloquer le renouvellement des juges de l’OA, et ce, très facilement, car ils doivent être nommés à l’unanimité. Cette action est antérieure à la venue de Trump. En effet, c’est l’administration Obama qui a empêché le remplacement des trois derniers départs, en 2011, 2014 et 2016.

Dit autrement, au lieu de réformer par des négociations multilatérales les règles de l’OMC, les États-Unis ont plutôt choisi de paralyser l’OMC, les appels non entendus restant « dans le vide ». 

On constate donc que les États-Unis, particulièrement avec le président Trump, s’éloignent d’une approche multilatérale du commerce international et préfère discuter de façon bilatérale, de pays à pays, pour profiter de leur puissance économique pour obtenir plus de concessions des autres pays.

Les tarifs dits « réciproques »

La Maison-Blanche affirme que les tarifs « douaniers réciproques » sont basés sur une estimation des barrières tarifaires et non tarifaires (réglementations abusives, procédures douanières complexes, etc.) et des manipulations monétaires (dévaluations par les pays exportateurs) que rencontrent les exportateurs américains dans un pays. Or, le calcul de la Maison-Blanche est tout sauf cela.

Prenons un exemple, le Lesotho, petit pays enclavé du sud de l’Afrique, avec une population de 2,3 millions d’habitants et un PIB par habitant 13 fois inférieur à celui des États-Unis (6 700 $ US versus 85 000 $ US). Au classement de l’Indice de développement humain (IDH), le Lesotho se situe au 168e rang sur 191 pays. Dit autrement, c’est un pays extrêmement pauvre. Il exporte vers les États-Unis des jeans, à bon prix pour leurs consommateurs, et des diamants, introuvables dans le sous-sol des États-Unis. En 2023, la valeur des exportations du Lesotho vers les États-Unis est de 237,3 M$ US et celle de ses importations de 2,8 M$ US : le déficit commercial des États-Unis avec ce pays est donc de 234,5 M$ US. Ce montant est ensuite divisé par la valeur totale des importations étasuniennes, ce qui donne un taux de 98,8 % (234,5÷237,3). Le président Trump se dit généreux parce qu’il applique la moitié de ce taux, soit un tarif de 47 % pour toutes les importations américaines en provenance du Lesotho.

Par ailleurs, il est intéressant, c’est une façon de parler, de voir comment la Maison-Blanche traite les pays avec lesquels les États-Unis enregistrent un surplus commercial (exportations américaines supérieures à ses importations). Rappelons que pour le président Trump un déficit commercial de son pays est une subvention des États-Unis au pays exportateur. Le président Trump escamote tout cela et impose un tarif plancher de 10 % à tous les pays avec lesquels les États-Unis enregistrent un surplus commercial : deux poids, deux mesures !

1. Durant la Deuxième Guerre mondiale, les étasuniens mènent plusieurs négociations économiques avec différents pays alliés dont la France et le Royaume-Uni. Ils établissent alors avec ces derniers les principes de ce que pourrait être une bonne conduite en matière de commerce international : réduction des droits de douane, élimination des quotas d’importation sauf en cas de déséquilibre de la balance des paiements, et interdiction des subventions à l’exportation.

2. Pour Trump, le fait que les États-Unis connaissent un déficit commercial avec plusieurs pays (voir graphique), cela signifie que son pays est exploité, et ce, depuis de nombreuses années. Il va même jusqu’à affirmer que les déficits commerciaux des États-Unis sont des subventions aux autres pays. 

3. Le «dumping» est la vente à l’étranger d’un produit à un prix inférieur à celui exigé sur le marché intérieur ou à un prix inférieur au coût de production, ce que permet une subvention de l’État.

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