Politiques commerciales

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Les politiques commerciales du Canada depuis 1850 – deuxième partie

Henri Beauregard – Jusqu’à tout dernièrement, soit avant l’arrivée récente de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la politique commerciale actuelle du Canada en ce qui a trait à ses échanges avec l’étranger en était une d’ouverture. En effet, les tarifs douaniers sont, sauf exceptions, très faibles, voire nuls, le pays ayant signé plusieurs ententes de libre-échange dont trois avec son principal partenaire commercial, les États-Unis. Cette situation est le résultat d’un long cheminement historique, non linéaire, où les politiques favorables à l’ouverture ou à la protection du marché intérieur canadien ont été mises de l’avant.

Les récentes relations commerciales tumultueuses Canada/États-Unis

Sur le plan du commerce international, un pays1 va d’abord tout naturellement échanger avec ses voisins et rechercher parmi eux les marchés les plus riches. Or, le Canada n’a qu’un seul voisin immédiat, les États-Unis, qui sont aussi le premier marché mondial depuis de nombreuses années. S’y ajoute une langue commune, des pratiques d’affaires et un univers culturel relativement semblables de deux côtés de la frontière. Ainsi, notre voisin du Sud a toujours exercé une très forte attraction gravitationnelle dans nos échanges avec l’étranger. 

Résister ou non à l’attraction américaine

Déjà, en 1957, le premier ministre conservateur John Diefenbaker s’inquiète de la dépendance de notre pays vis-à-vis les soubresauts de l’économie américaine. Quelques deux décennies plus tard, on examine certaines options. La première est celle du statu quo : on laisse les forces gravitationnelles du marché américain jouer, sans rien forcer; une deuxième est plutôt de favoriser l’intégration économique du pays avec les États-Unis par un traité de libre-échange avec ces derniers. Pierre Eliot Trudeau, premier ministre libéral, met de l’avant l’idée d’une « troisième voie » qui serait aujourd’hui désignée comme étant une diversification des marchés. Dans les faits, ce fut un échec.

Lecture des graphiques : En 2000, les exportations de marchandises du Canada vers les États-Unis totalisent 358,4 milliards de dollars et représentent 81,8 % des exportations totales du pays; durant la même année, le Canada importe pour un montant de 266,4 milliards de dollars des États-Unis, ce qui équivaut alors à 73,5 % de toutes ses importations.
Source : Statistique Canada. Tableau 12-10-0011-01, Commerce international de marchandises pour tous les pays et les principaux partenaires commerciaux, mensuel. Compilation par l’auteur.

Face à ce constat, le Canada met sur pied une commission d’enquête, connue sous le nom de la commission Mac Donald, du nom de son président2. Elle préconise une entente de libre-échange avec les États-Unis.

Sous la gouverne du premier ministre Brian Mulroney et du président étasunien Ronald Reagan, la négociation entre les deux pays aboutissent à l’Accord de libre-échange (ALE) en 1985. En 2007, les États-Unis et le Mexique entament des discussions pour établir un traité de libre-échange entre les deux pays. Pour éviter l’isolement, le Canada s’invite à la table de négociation, ce qui aboutit au traité de libre-échange entre les trois pays, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Début 2017, le nouveau président américain, Donald Trump, dénonce cet accord et le qualifie de

« pire accord commercial » signé par les États-Unis. Il force sa renégociation. Un accord surprise entre le Mexique et les États-Unis en août 2018 force encore la main du Canada et débouche sur une entente entre les trois pays, l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). Le traité est signé officiellement en novembre 2018. L’intégration économique du Canada dans l’économie américaine devient au fil du temps de plus en plus formelle, encadrée dans le cadre juridique de ces traités de libre-échange. 

À titre d’exemple, soulignons qu’entre 2000 et 2024, les exportations canadiennes vers les États-Unis ont augmenté d’une valeur de 233 milliards de dollars et les importations canadiennes de 221 milliards de dollars (voir graphiques).

Mais avant d’examiner le continuum entre ces trois traités de libre-échange, examinons une entente canado-américaine antérieure, dans un secteur particulier, l’automobile.

Le Pacte de l’automobile

Le Pacte de l’automobile entre le Canada et les États-Unis est signé le 16 janvier 1965. Il s’agit dans les faits d’un accord de libre-échange sectoriel dans le domaine des pièces et véhicules finis qui, sous certaines conditions, circulaient en franchise (sans droits de douane) entre les deux pays. Il permet une intégration nord-américaine de la production automobile. Les grands manufacturiers nord-américains (GM, Ford et Chrysler à l’époque) organisent leur production à l’échelle des deux pays. Ainsi, les filiales canadiennes des géants américains sont amenées à produire moins de modèles, mais sur une plus grande échelle, et ce, pour satisfaire la demande dans les deux pays.

Un fabricant installé au Canada doit toutefois satisfaire deux exigences – dites mesures de sauvegarde – pour importer des véhicules et des pièces en franchise : d’abord construire un véhicule au Canada pour chaque véhicule vendu et ensuite, réaliser une valeur ajoutée canadienne d’au moins 60 % – essentiellement dans la fabrication de certains composants et l’utilisation d’une main-d’œuvre dans l’assemblage des véhicules. 

Ces dispositions permirent une forte croissance de la production automobile au Canada, mais seulement au niveau de l’assemblage et de la fabrication de certains composants tels la conception, la recherche et le développement demeurèrent aux États-Unis. Cette industrie se concentre dans le sud-ouest de l’Ontario, près de Détroit, la capitale nord-américaine de l’automobile.

Certaines dispositions de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE) créèrent en 1989 deux classes de fabricants de l’automobile au Canada : ceux qui participaient au Pacte de l’automobile et ceux qui n’y participaient pas. Fin des années 1990, le Japon et l’Union européenne déposent une plainte formelle à l’OMC, alléguant que les mesures de sauvegarde du Pacte de l’automobile sont discriminatoires. En 2000, l’OMC leur donne raison. Le Canada révoque ces dispositions le 19 février 2001, ce qui met fin à l’existence du Pacte de l’automobile. 

L’ALE et l’ALENA 

Les deux premiers accords de libre-échange, d’abord entre les États-Unis et le Canada (ALE) et ensuite avec le Mexique (ALENA) sont d’une très grande portée, car ils touchent non seulement le commerce des marchandises, mais aussi celui des services, la protection et le respect de la propriété intellectuelle (brevets et marques de commerce) et l’investissement. La signature de l’ALENA a mené à la suspension de l’ALE.

Les objectifs de l’ALENA

Les objectifs déclarés sont :

  1. Éliminer les obstacles au commerce des produits et des services entre les territoires des pays signataires;
  2.  Favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange;
  3. Augmenter substantiellement les investissements sur les territoires des pays signataires;
  4. Établir des procédures efficaces pour la mise en œuvre et l’application de l’Accord et le règlement des conflits;
  5. Créer le cadre d’une coopération trilatérale, régionale et multilatérale plus poussée afin d’accroître et d’élargir les avantages de l’Accord

Les droits de douane – L’entente accorde un traitement tarifaire préférentiel à tous les produits d’origine nord-américaine échangés entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Les tarifs préférentiels ne s’appliquent qu’aux articles produits ou transformés en très grande partie en Amérique du Nord. La teneur régionale doit être au moins de 50 ou 60 %, en fonction de deux méthodes distinctes de calcul. Chacun des pays conserve sa propre politique commerciale vis-à-vis les autres pays non membres de l’Accord. 

Les droits de douane sur presque tous les produits originaires échangés entre le Canada et le Mexique sont éliminés en 20083, à l’exception des produits agricoles canadiens des secteurs des produits laitiers, de la volaille, des œufs et du sucre (qui sont exemptés de l’élimination tarifaire). Ceux sur les marchandises admissibles échangées entre le Canada et les États-Unis avaient déjà été éliminés le 1er janvier 1998 dans le cadre de l’ALE.

Toutefois, bien avant la réduction des droits de douane, ce qui préoccupait le Canada, dans le cadre de l’ALE, et par la suite, le Mexique dans le cadre de l’ALENA, c’était l’établissement d’un meilleur mécanisme de règlement des différends, et ce, en particulier pour les droits compensateurs ou les droits antidumping souvent instaurés par les États-Unis.

Les règlements des différends – En plus des règles de l’OMC, à qui un pays peut toujours se référer, l’ALENA institue plusieurs mécanismes de règlement des différends. Ainsi, l’Accord prévoit des mécanismes permettant d’éviter ou de concilier les divergences quant à l’interprétation de l’Accord. En cas de désaccord, l’Accord prévoit le recours à une procédure rapide et efficace de renvoi à des groupes spéciaux d’arbitrage.

L’Accord porte aussi sur les différends en matière de droit antidumping et compensateur. Les définitions et interprétations de ces droits sont conformes aux règles de l’OMC. Toutefois, en cas de différend, un pays s’estimant lésé peut faire appel à un groupe spécial afin de déterminer si les mesures prises sont conformes à la législation nationale sur les droits antidumping pris pour contrer les ventes à bas prix et sur les droits compensateurs pour compenser les subventions à l’exportation. 

Pour lever des droits antidumping, le gouvernement du pays se disant lésé doit mener une enquête approfondie, démontrer l’existence du dumping et estimer son ampleur à l’aide de méthodes reconnues. De plus, autre élément fondamental, il doit démontrer que le dumping cause ou menace de causer un dommage à son économie nationale.  

Certes, bien qu’il s’agisse d’une entente trilatérale, dans les faits, les flux commerciaux et d’investissements reflètent une double bilatéralité : des échanges Canada-États-Unis et des échanges Mexique-États-Unis.

L’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM)

Dès le début de son arrivée au pouvoir, le président Trump ne cherche pas à renégocier l’ALENA, mais bien à le remplacer. 

D’abord, il veut un commerce plus « équitable » pour les États-Unis, le fair-trade dans son langage, à savoir réduire le déficit commercial américain, réviser les règles dans différentes industries, notamment en agriculture et dans le secteur de l’automobile, et enfin, une réforme de la législation du travail mexicaine. Ensuite, il veut mettre à jour certains chapitres de l’ALENA et en ajouter de nouveaux, dont celui du commerce électronique, et introduire des mécanismes d’ajustement et de révision pour faire de l’ACEUM un accord évolutif. Enfin, dernier objectif, il veut élargir les négociations aux réglementations nationales.

On peut voir cette période de négociation comme une pratique pour le président étasunien face à ce qui se passe aujourd’hui. En effet, il ne cesse de brandir la menace de tarifs douaniers pour mieux accroître son pouvoir de négociation. D’ailleurs, il lève des droits de douane de 10 % sur les importations étasuniennes d’acier et d’aluminium, tarifs qui ne seront retirés qu’après la signature de l’ACEUM.

Le président Trump veut aussi voir la disparition complète de la gestion de l’offre au Canada dans les industries du lait, des œufs et de la volaille. Finalement, le Canada accepte d’ouvrir près de 4 % de son marché dans le secteur du lait.

Dans le secteur de l’automobile, l’Accord élève à 75 % le contenu nord-américain pour bénéficier de la possibilité de commercer entre les trois pays sans droits de douane; le salaire horaire minimal des travailleurs mexicains est fixé à 16 $ US; le contenu nord-américain en acier et en aluminium est établi à 70 %. Les trois grands producteurs américains – GM, Ford et Stellantis – organisent leur production à l’échelle du continent profitant des avantages des trois pays signataires de l’Accord, particulièrement sur le plan des chaînes d’approvisionnent et de l’assemblage.

Le Mexique et les États-Unis avaient accepté d’éliminer le mécanisme des groupes spéciaux pour examiner les différends liés aux droits antidumping et compensatoires. Le Canada réussit à les faire maintenir, sans toutefois pouvoir améliorer le processus de nomination des experts juges de ces groupes. Nous y reviendrons.

Dans le secteur du bois d’œuvre, les conflits avec les États-Unis perdurent depuis le début des années… 1980. La base principale des conflits réside dans la différence fondamentale entre les modes de propriété des forêts. Au Canada, les terres sont principalement publiques et sont gérées par les autorités provinciales; aux États-Unis, c’est le contraire. Les terres sont essentiellement privées, détenues par des individus ou des entreprises. Les producteurs étasuniens soutiennent que les droits de coupe fixés par les provinces sont très bas et constituent une forme de subvention et à du dumping sur le marché américain. Nous en sommes aujourd’hui à un sixième conflit. Les cinq premiers ont mené à différentes ententes. Sur le plan juridique, le Canada a eu gain de cause parce que les autorités étasuniennes ont été incapables de démontrer que les exportations canadiennes causaient un dommage à leurs producteurs étasuniens. 

Présentement, les États-Unis ont levé des droits antidumping et droits compensatoires en moyenne de 14,5 % et menacent d’en imposer d’autres. Jusqu’à présent, les droits acquittés par les exportateurs canadiens totalisent près de 9 G$, en attendant la conclusion d’une entente. Le mécanisme des groupes spéciaux est présentement paralysé par les États-Unis qui ont refusé de combler les postes vacants des experts négociateurs dans ces groupes qui, sans membres suffisants, ne peuvent siéger.

Enfin, en avril 2025, en reniant le traité de l’ACEUM qu’il avait lui-même signé, le président Trump a levé des tarifs douaniers de 25 % sur l’acier et l’aluminium, sur les voitures et pièces (non étasuniennes) et sur les produits hors ACEUM – c’est-à-dire sans certificat de conformité nord-américaine4

Le Canada ne peut changer sa géographie. Les États-Unis sont et resteront son voisin. Mais le président Trump a ébranlé notre confiance. Une nouvelle entente commerciale négociée, à l’avantage de tous les pays signataires, sera-t-elle dans l’avenir respectée ? 

1.Dans les faits, un pays n’exporte pas en tant que tel. Ce sont plutôt les entreprises établies sur son territoire qui le font, et ce, peu importe la nationalité des propriétaires. 

2.Il s’agit de la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement qui remit son rapport en 1984.

3. Un exportateur canadien doit obtenir un certificat d’origine pour bénéficier d’un tarif nul. Plusieurs exportateurs canadiens n’ont pas fait les démarches nécessaires, qui demandent temps et argent, parce qu’ils bénéficiaient déjà de tarifs douaniers faibles.

4. Plusieurs exportateurs canadiens n’avaient pas fait les démarches nécessaires pour obtenir un certificat de conformité, ce qui demande temps et argent, parce qu’ils bénéficiaient, avant le tarif de 25 %, de tarifs douaniers faibles.  

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