Une autre galaxie de dollars

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Henri Beauregard – Une compagnie d’assurances avec une armée. En quoi ce dicton décrit-il bien le gouvernement étatsunien ? De façon surprenante, on observe qu’environ 70 % des dépenses du gouvernement fédéral aux États-Unis concernent la sécurité sociale, les soins de santé et la défense.

Un ordre de grandeur hors normes

Comparer les États-Unis et le Canada, c’est nécessairement mesurer deux réalités de tailles fort différentes. Relativement au Canada, la population étatsunienne est quatorze fois plus nombreuse, la production mesurée par le produit intérieur brut (PIB) onze fois plus importante et le PIB par habitant aux États-Unis est 40 % plus élevé.

S’intéresser aux revenus et dépenses du gouvernement américain, évidemment estimés en termes de dollars américains, c’est jongler avec des chiffres colossaux, particulièrement par rapport à ceux que l’on connaît dans notre environnement canadien et québécois. Entre les univers canadien et étatsunien, on ne voyage pas d’une planète à une autre, mais bien vers une nouvelle galaxie.

Dès lors, il faut se familiariser avec la signification de mille milliards de dollars, ou un billion de dollars. Le tableau 1 présente certaines équivalences en ce sens. À titre d’exemple, avec une telle somme d’argent, nous pourrions acheter vingt millions de camionnettes Ford F150. Stationnées en ligne, elles pourraient faire environ 2,7 fois le tour de la terre au niveau de l’Équateur. 

L’année fiscale 2024 

Globalement, le gouvernement fédéral des États-Unis a dépensé durant l’année fiscale 20241 près de 6,75 billions de dollars alors que ses revenus ont été de 4,92 billions de dollars. En conséquence, le déficit d’opération atteint 1,83 billion2 de dollars et équivaut à 6,4 % du produit intérieur brut (PIB) des États-Unis. À titre de comparaison, le déficit budgétaire du gouvernement fédéral canadien de l’an dernier se situe à 1,3 % du PIB du pays, soit environ cinq fois moins. 

La majeure partie des revenus du gouvernement fédéral étatsunien provient de l’impôt sur le revenu des particuliers et des cotisations sociales, respectivement 4 140 et 1 710 milliards de dollars, soit environ 84 % du total des revenus. L’impôt des entreprises est de 530 milliards de dollars (11 % du total). Les différents autres revenus, dont les tarifs douaniers, se chiffrent à 250 milliards de dollars (voir le graphique 1).

La répartition des dépenses du gouvernement est présentée au graphique 2. Comme nous l’avons mentionné en introduction, ce sont les dépenses sociales qui occupent le haut du pavé. La sécurité sociale (21,6 %), les soins médicaux dont Medicaid3 (13,5 %), le programme Medicare4 (12,9 %), la sécurité du revenu (9,9 %) totalisent près de 60 % des dépenses totales qui se chiffrent à 3 917 milliards de dollars. En y ajoutant la Défense nationale, 874 milliards de dollars, l’ensemble de ces postes représentent environ 70 % des dépenses totales (4,8 billions de dollars).

En forte progression depuis quelques années, les paiements en intérêt sur la dette du gouvernement fédéral ont augmenté de 14 % en 2024 comparativement à 2023 : 882 milliards de dollars. Nous y reviendrons.

Enfin, toutes les autres dépenses, telles que l’éducation, le support aux vétérans, le transport, l’aide internationale, la recherche médicale, etc., soit environ 15 % des dépenses totales, totalisent environ 1 000 milliards de dollars.

La conjugaison implacable des déficits et de la dette

Depuis la deuxième année du mandat du président Bush en 2002, le gouvernement américain enregistre chaque année un déficit d’opération : les dépenses ont dépassé les revenus (voir le graphique 3). Ces déficits sont financés par endettement. Première puissance économique mondiale, les États-Unis profitent de cette position privilégiée pour facilement emprunter, les bons du Trésor américain ayant toujours été considérés comme l’actif refuge ultime, une valeur sûre, du moins jusqu’à présent.

En conséquence, la dette cumulée du gouvernement ne cesse d’augmenter. D’un peu plus de 5 000 milliards de dollars en 2001, elle atteint 14 000 milliards en 2010, 28 000 milliards en 2020 et enfin, 35 000 milliards l’an dernier (voir le graphique 4). 

L’impasse politique du déficit budgétaire étatsunien

On peut combler un déficit en augmentant les revenus, en diminuant les dépenses ou en combinant les deux mesures.

Sur le plan des revenus, les parlementaires américains, par conviction politique ou idéologique, ont favorisé des baisses de l’impôt des particuliers, baisses très favorables aux plus nantis. Ainsi, en dépit de la croissance économique entre 2015 et 2024, les revenus du gouvernement américain ont été relativement stables alors qu’ils auraient dû, sans l’effet des baisses d’impôt, minimalement croître au même rythme.

Dans la même veine idéologique, Trump veut aussi prolonger, voire bonifier les baisses d’impôt de 2017, qui prendront fin le 31 décembre prochain. Si on les maintient entièrement, on prévoit pour l’année 2026 une baisse des revenus de l’ordre de 232 milliards de dollars. Une reconduction complète, sur une base de 10 ans, est estimée à 4 300 milliards de dollars. 

Trump parle beaucoup, c’est le moins que l’on puisse dire, de tarifs douaniers. Il affirme même qu’ils permettront de financer les baisses d’impôts, en oubliant qu’en dernière instance que ce sont les consommateurs étatsuniens qui finissent par payer lesdits tarifs – qui sont en fait des taxes déguisées. Les tarifs douaniers ont rapporté 80 milliards de dollars en 2024. Des analystes soutiennent que les récentes mesures de hausses de tarifs pourraient quadrupler les recettes5 du gouvernement. Mais le degré d’incertitude est élevé et on peut douter que ces mesures comblent de façon substantielle le déficit du gouvernement américain.

Les actions du gouvernement actuel ne sont donc pas orientées vers une hausse crédible des revenus. Examinons l’autre variable du budget, les dépenses. 

La population étasunienne est aussi vieillissante, moins que chez nous toutefois, ce qui pousse à la hausse les dépenses en santé et sécurité sociale, si l’objectif est de maintenir les mêmes programmes.

Jusqu’avant la pandémie, l’inflation a été relativement faible ainsi que les taux d’intérêt. Or, la dette s’accroît maintenant rapidement, et ce, avec des taux d’intérêt plus élevés. Dès lors, le service de la dette – les intérêts payés – est de plus en plus élevé. Il représentait 8 % des dépenses fédérales en 2019, 13 % en 2024. Le Bureau de responsabilité gouvernemental (U.S. Government Accountability Office) estime que, si rien ne change, il atteindra 27 % en 2054. Rappelons qu’en 2024, cette dépense est déjà supérieure à celle de la Défense nationale et au programme Medicare.

On fait grand bruit des actions du milliardaire Elon Musk, à la tête du Department of Government Effiency (DOGE). Il estimait pouvoir épargner près de 130 milliards de dollars au trésor public en éliminant le gaspillage et les fraudes. Mais à peine 30 % de ces épargnes ont été détaillées et plusieurs observateurs pensent que les économies réelles sont plutôt de l’ordre de 10 milliards. Et même si on réussissait à épargner les 130 milliards de dollars, cela ne représenterait que 7 % du déficit.

Certaines annonces sont de plus trompeuses. Par exemple, la mise à pied de 10 000 employés au Dépar-tement de la santé. Certes, un chiffre élevé, spectaculaire. Mais le nombre d’employés civils du gouvernement fédéral, en excluant le service de la Poste américaine, est de 2,3 millions de personnes. La rémunération globale des employés civils du gouvernement fédéral totalisait 271 milliards de dollars en 2022, soit un maigre 4,3 % des dépenses totales. Tous les congédier réduirait le déficit de seulement 14 % !

De cet exemple des coupures de poste en santé, on peut tirer une leçon qui s’applique à plusieurs autres mesures mises de l’avant par le DOGE : son impact financier est très faible, mais les dommages sociaux, très grands. Il en va de même pour les coupures de l’aide internationale, du département de l’éducation dont les programmes viennent en appui aux élèves les plus en difficultés d’apprentissage, etc. Sans parler de celles dans les domaines scientifiques et en environnement. 

Certaines coupures sont aussi contre-productives. Diminuer les effectifs, tel que promis, à l’Internal Revenue Service (IRS), l’équivalent aux États-Unis de notre ministère du Revenu, va diminuer les entrées d’argent du gouvernement : moins de contrôles fiscaux conduit inévitablement à une diminution des revenus. 

Musk et ses sbires ne cherchent d’ailleurs pas à rendre l’IRS plus efficace. Pourtant, le Trésor américain a identifié un domaine où les possibilités de revenu pour le gouvernement sont énormes, ce qu’il désigne par l’expression d’écart fiscal (Tax gap). Il s’agit du montant des impôts à payer par les contribuables moins celui effectivement payé. Écart que l’on peut diviser en deux parts entre ceux qui ne font pas leurs rapports d’impôt et ceux qui sous-estiment leurs revenus. En 2022, le Trésor américain estime que l’écart fiscal est de l’ordre de 600 milliards de dollars, soit près de la moitié du déficit de cette année-là.

Globalement, on constate un blocage au niveau politique. Dans les présentes conditions, l’équilibre entre les recettes et les dépenses du gouvernement fédéral étatsunien est hors d’atteinte.

1. Soit du 1er octobre 2023 au 30 septembre 2024.

2. C’est-à-dire mille huit cents trente milliards de dollars : 1 830 000 000 000 $

3. Programme fédéral et national (au niveau des États) couvrant les frais médicaux des personnes aux revenus et ressources limités, connu aussi sous le nom de Obamacare.

4. Assurance maladie réservée aux personnes âgées et aux invalides qui couvrent les frais d’hospitalisation et autres prestations de soins.

5. Généreux, Francis (28 mars 2025). Finances publiques américaines : entre les souhaits du président Trump et la réalité, Mouvement Desjardins, Études économiques

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