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De trois lieux à troisième lieu
Valérie Lépine – Dans l’édition du mois d’août dernier, le Journal des citoyens publiait une entrevue avec John Dalzell qui se lance dans la course à la mairie de Sainte-Anne-des-Lacs. John Dalzell y faisait entre autres une proposition au sujet du projet de bibliothèque : construire des « espaces adaptés » à chaque tranche d’âge de la population.
Monsieur Dalzell affirmait ainsi que le « projet [de nouvelle bibliothèque], souvent annoncé, mais constamment en présélection, ne répond pas clairement aux besoins de la communauté ». Il doute qu’« un unique bâtiment puisse convenir à toutes les générations ». Il propose donc de construire des espaces adaptés par tranche d’âge : « des installations près des garderies pour les jeunes, un Starbucks communautaire pour les adultes, et des coins de lecture et de socialisation pour les retraités ».
Ces affirmations, monsieur Dalzell, en ont fait sursauter plus d’un. J’ai eu plusieurs échos de ces réactions et, sachant que je suis bibliothécaire professionnelle, on m’a même abordée à ce sujet quand je faisais mes courses. Et parce que je crois profondément dans le rôle essentiel des bibliothèques publiques dans la société (au point où j’en ai fait mon métier), j’ai eu envie de répondre à vos affirmations.
Qu’est-ce qu’une bibliothèque publique ?
D’abord, il est important de bien comprendre le rôle d’une bibliothèque publique dans une municipalité et ce qu’elle peut offrir à ses citoyens. Les bibliothèques pu-bliques offrent certes le prêt d’une collection de livres imprimés qui s’adressent à tous et abordent divers sujets. Mais elle est beaucoup plus que ça. La bibliothèque publique est d’abord et avant tout un lieu qui ouvre ses portes à tous les citoyens, peu importe leur origine, leur richesse, leur religion, leurs idées politiques. On peut y entrer sans qu’il n’y ait aucune incitation à la consommation et à l’achat. C’est un lieu qui est là pour répondre aux besoins des citoyens, c’est pourquoi ce sont les Municipalités qui en ont la responsabilité, puisque c’est à ce niveau qu’on peut le mieux connaître les besoins de sa communauté. C’est un lieu qui peut offrir, selon les besoins, outre une collection de livres imprimés, des conférences, des ateliers, des heures du conte, des espaces de travail et de lecture, de mini-espaces cinéma, l’accès à des machines à coudre, à des ordinateurs et à d’autres appareils électroniques, le prêt d’objets aussi variés que des jeux, des télescopes, des instruments de musique, des graines pour son jardin, etc. C’est un lieu où l’on peut tout simplement entrer pour consulter ses courriels, pour se réchauffer ou se refroidir ou pour avoir quelqu’un à qui dire bonjour.
C’est un lieu qui a le potentiel de rassembler une population, d’aider à l’intégration et à la cohésion sociale, de diminuer l’isolement. Il offre un endroit calme et tempéré où chacun a le potentiel d’y trouver son compte.
Notre bibliothèque actuelle, au moins quatre fois trop petite selon les normes ne peut évidemment pas offrir cette panoplie de services. Impossible dans ce lieu d’aménager des espaces de travail ou de lecture, d’élargir le prêt à d’autres types de documents, d’offrir un espace adéquat pour les conférences ou les activités (le bâtiment ne peut contenir que 20 personnes à la fois). Même les rencontres fortuites se font serrées entre deux étagères ou pressées contre la porte extérieure.
De trois lieux au troisième lieu
Dans ce contexte, comment des « espaces adaptés par tranches d’âge » peuvent-ils remplir la mission de la bibliothèque publique moderne ? Comment le fait de séparer les citoyens dans des espaces différents peut-il favoriser les rencontres, la cohésion sociale ou briser l’isolement ? À l’heure de la polarisation des opinions et des conflits idéologiques, un lieu comme la bibliothèque publique est essentiel pour favoriser le dialogue et les liens entre citoyens.
Et plus pratiquement, où pourrions-nous bâtir trois espaces alors que la Municipalité a longtemps cherché où en mettre un seul (pour la nouvelle bibliothèque) ? Quel personnel travaillerait dans ces trois espaces ? Est-ce qu’il y aurait trois fois plus d’employés pour la bibliothèque ? Si on en conservait le même nombre, est-ce que les heures d’ouverture actuelles seraient divisées en trois ? Où se tiendraient les conférences ? Si vous me répondez au centre communautaire, on ajoute un autre espace et on segmente encore plus ! Imaginez-vous l’embarras d’un parent qui doit aller d’abord à l’espace jeunes pour son enfant puis se rendre à l’espace « Starbucks » -adultes pour lui-même ? Et que fait-on des enfants d’âge scolaire ? Ils ne peuvent se contenter des collections de livres de leur école, puisqu’on sait que plusieurs écoles ont des collections faméliques, désorganisées ou même inexistantes.
Je suis certaine, monsieur Dalzell, que vous pouvez voir qu’après analyse, l’idée de diviser la bibliothèque en trois lieux distincts ne tient pas la route.
Attaquons-nous plutôt à rallier les citoyens à un projet d’UNE nouvelle bibliothèque qui répond aux normes et qui, les études le montrent, amènera encore plus de citoyens à la fréquenter. Attaquons-nous plutôt à faire en sorte que les Annelacquois se dotent d’une bibliothèque digne de ce nom, un troisième lieu où, après la maison et le travail, les citoyens peuvent se retrouver chez eux.