Le référendum 1995

Daniel Machabée
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Le rendez-vous manqué avec l’Histoire

Daniel Machabée – « L’indépendance d’un pays, ce n’est pas quelque chose de passager. Je suis en politique pour faire la souveraineté du Québec. (Jacques Parizeau) ». Ce n’est pas tous les jours qu’un peuple est appelé à se prononcer sur son avenir politique. Les démocraties sont rares et les occasions le sont encore davantage pour toutes sortes de raisons.

Il y a 30 ans, le 30 octobre 1995, le Québec se prononçait une seconde fois sur son avenir politique au sein du Canada. Mais pourquoi tenir un second référendum sur l’indépendance du Québec alors que les Québécois s’étaient prononcés contre le projet de souveraineté-association 15 ans plus tôt en 1980 ? Comprendre le résultat du référendum de 1995, c’est comprendre la stagnation du Québec depuis 30 ans. Retour sur le dernier traumatisme social québécois.

Le contexte politique de 1994

Ce n’est pas de gaieté de cœur que des politiciens sont déterminés à demander à leurs concitoyens de prendre une décision politique. Ils le font car ils le savent bien, du moins dans notre démocratie, que toutes les avenues politiques ont été essayées et rejetées. Le référendum de 1995 est l’aboutissement de 15 années de négociations constitutionnelles dignes d’un vaudeville. Les Québécois ont rejeté la souveraineté-association de René Lévesque en croyant les promesses de Pierre Elliott Trudeau de modifier la constitution. En 1982, ce dernier impose le rapatriement unilatéral de la constitution qui enlève des pouvoirs au Québec, rejette sa spécificité culturelle et impose par le fait même la charte des droits et libertés qui nie l’existence des droits collectifs au détriment des droits individuels. En 1987, après un changement de gouvernement tant à Québec qu’à Ottawa, une nouvelle entente est négociée où le Québec demande cinq conditions minimales pour signer la constitution : c’est l’Accord du lac Meech. Or, trois ans plus tard, deux provinces refusent de signer l’accord, ce qui provoque la mort de l’accord le 22 juin 1990. Alors que toutes les conditions étaient favorables à la souveraineté du Québec, Robert Bourassa négocie une autre entente avec Brian Mulroney qui aboutit à l’entente de Charlottetown en 1992. Cette entente ne reconduit pas toutes les conditions de Meech pour le Québec et est soumise par référendum pancanadien. Résultats : l’entente est rejetée autant au Québec qu’au Canada anglais. Après ces tentatives, parfois sincères, de réparer l’insulte de 1982, que restait-il à essayer au Québec ? N’avait-il pas été suffisamment humilié par les Canadiens anglais ? N’était-il pas furieux de voir son drapeau piétiné à chaque fois qu’il utilisait la clause dérogatoire pour sauver un paragraphe de la loi 101 ? N’était-il pas fatigué de toujours tendre la joue gauche pour continuer à recevoir des refus ? Il ne restait qu’une option à étudier : l’indépendance politique. 

Les élections de 1993 et 1994

Fondé pour défendre les intérêts du Québec à Ottawa et préparer l’indépendance, le Bloc québécois fait élire 54 députés le 25 octobre 1993. Au Québec, usés par neuf années de pouvoir, les libéraux de Daniel Johnson fils sont défaits par le Parti québécois le 12 septembre 1994. Le chef du PQ, Jacques Parizeau, n’a jamais caché son désir de tenir un référendum sur l’indépendance du Québec rapidement après son élection. En bon économiste, Jacques Parizeau prépare depuis 1989 l’accession du Québec à son indépendance. Pour lui, tout est limpide : les Québécois se prononceront sur leur avenir politique, car ils n’ont plus rien à attendre d’Ottawa. D’ailleurs, il n’a jamais voulu gouverner une province qui ne contrôle pas tous ses leviers économiques et politiques. 

Or, comme les feuilles d’automne qui partent au vent, les sondages pour la souveraineté du Québec démontraient en 1994 et au début 1995 une tendance à la baisse, comme si les Québécois, après la colère des échecs répétés d’une simple reconnaissance sémantique sur la société distincte, étaient de nouveau prêts à donner une autre chance au Canada anglais. Après tout, pourquoi quitter un pays qu’on a colonisé, défriché, fondé ? Pourquoi s’en faire si les Canadiens anglais en général et le gouvernement fédéral en particulier ont toujours agi comme des colonisateurs envers les francophones depuis la Conquête de 1763 ? Pourquoi s’indigner s’ils ont volé l’identité des Canadiens-français, leur drapeau et leur hymne national ? Pourquoi s’insurger devant l’imposition de la constitution canadienne de 1982 qui fait du Québec une province comme les autres ? 

Le 8 avril 1995, lors d’un congrès du Parti québécois, Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, déclare ceci : « Il n’y a rien en démocratie qui oblige personne à tenir un référendum. Tout ce qu’on a convenu, c’est que le référendum devrait être tenu, si possible, en 1995, si nous pouvons réunir des conditions favorables. Si les fédéralistes pensent qu’on va leur faire un référendum perdant, ils vont attendre longtemps1. » Cette mise en garde a repoussé la tenue du référendum prévu d’abord au printemps de 1995. 

L’été de 1995

À la fin du mois d’août, les sondages donnent 42 % à l’option du OUI. Malgré la coalition entre le Parti québécois, le Bloc québécois et l’Action démocratique du Québec, les Québécois semblent avoir la tête ailleurs. Serait-ce le départ pour le Colorado des Nordiques de Québec ? Serait-ce la farouche bactérie mangeuse de chair qui a failli emporter Lucien Bouchard en novembre 1994 ? Serait-ce la grève au baseball majeur qui a anéanti les espoirs de championnat pour les Expos de Montréal ? Malgré ces événements moroses, la campagne référendaire s’amorce. Dans un geste d’altruisme pour une cause qu’il a défendue depuis 30 ans, Jacques Parizeau pose un geste déterminant en nommant Lucien Bouchard négociateur en chef et le fait passer au-devant de la scène. « L’effet Bouchard » est immédiat : adulé du public, orateur redoutable, inattaquable par ses adversaires à cause de sa maladie, ses envolées embrasent les foules et galvanisent l’option du OUI. À quelques jours du vote, devant l’option du NON qui n’a rien de concret à proposer sinon le statu quo, les sondages donnent le OUI gagnant, semant la panique chez les fédéralistes. 

Le détournement de la démocratie 

Réalisant pour la première fois que le Canada pouvait perdre son joyau francophone, les fédéralistes ont transgressé la loi référendaire pour tenter de préserver leur contrôle sur le Québec. Le président américain, à la demande du premier ministre canadien Jean Chrétien, s’adressa aux Québécois en leur disant l’importance d’avoir un allié uni au nord de leur frontière. Quelques jours plus tard, des milliers de Canadiens provenant de partout au Canada, profitant de la gratuité d’un transport, se rendirent à Montréal lors du fameux love-in où ils déclarèrent leur amour du Québec. Pierre-F. Côté, alors directeur des élections du Québec, reconnu pour sa grande partialité, déclara au sujet des dépenses du camp du NON : « J’arrive à la conclusion que nous sommes dans un État de “demi-droit” au Canada, parce qu’on n’a pas la capacité de faire observer notre législation référendaire2. »

Dans les mois précédant le référendum, on a assisté à une naturalisation accélérée de la citoyenneté canadienne. On estime à environ 84 000 les nouveaux citoyens canadiens au Québec pour les années 1994-1995, alors que la moyenne était de 21 000 en 1992 et 1993. Également, les études subséquentes des résultats démontrent qu’il existe des incongruités informatiques entre la liste électorale et la liste des assurés à la RAMQ. Ainsi, plus de 50 000 personnes ont voté alors qu’elles n’étaient pas inscrites à la RAMQ. Enfin, on a recensé plus de 11 700 personnes qui ont voté deux fois…

Les conséquences du résultat pour le Québec

L’exercice démocratique est un exemple pour le monde entier. Plus de 94 % des électeurs ont voté. Si l’option du NON a gagné par 54 288 votes, les francophones ont voté OUI à 60 %. Cette question, les francophones l’ont comprise : elle devait terminer 231 ans de contrôle anglophone sur leurs décisions. Elle devait faire du Québec un pays. Depuis 30 ans, le Québec stagne et régresse dans le Canada. La troisième voie de François Legault, si elle était sincère, nous a démontré une chose limpide : jamais le Canada anglais n’acceptera la différence culturelle du Québec. Car si notre histoire à nous francophones commence en 1608, celle du Canada anglais commence sur les Plaines en 1759. Et un pays qui en contrôle un autre ne veut évidemment pas perdre l’exploitation de ses richesses qui le font prospérer. Voilà pourquoi la question se posera à nouveau dans un avenir rapproché. Voudrons-nous franchir ce pas courageusement pour vivre et non survivre comme disait si judicieusement René Lévesque, lui qui disait en 1980 qu’il y a un rendez-vous normal avec l’Histoire ? Les fruits sont plus que mûrs comme chantait Félix… 

1.  Pierre Duchesne, Jacques Parizeau : Le régent, tome 3

2.  R. Philpot, Le référendum volé, Édition Les Intouchables.

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