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Inondations
Gleason Théberge – Les récentes crues des eaux ont bouleversé la vie courante et attaqué des quartiers entiers. Ces invasions produites par des forces dominantes peuvent évoquer au Québec l’énorme influence insidieuse des modes étasuniennes sur notre langage, où de mauvaises traductions affligent périodiquement les fondements du français. Avec l’eau ou les anglicismes, ce que la négligence produit, bien sûr, ce sont des moisissures qui polluent jusqu’à nos pensées et produisent des maladies qui nous font dire ce que nous ne disons pas.
On ne s’en aperçoit pas toujours ni tout de suite, mais le mal se propage, comme chez ces généreux bénévoles qui veulent, par exemple, faire une différence auprès de ceux qu’ils aident. L’intention est louable, mais l’expression ne l’est pas. Faire une différence, c’est distinguer, être capable de voir de loin si une personne nous est inconnue ou un ami, pour se dépêcher de le rejoindre ou ignorer le passant. Ce que le bénévole fait, c’est essayer de changer quelque chose dans la vie de quelqu’un d’autre, assurer auprès de lui une présence encourageante; et pour ce faire, il doit faire la différence entre la tristesse et la détresse, par exemple, distinguer si la cause du malheur est temporaire ou permanente, choisir les mots et les attitudes qui conviennent.
Une expression parallèle nous inonde d’ailleurs ces temps-ci, quand on entend un de ces définitivement qui ne peuvent remplacer les simples vraiment, tout à fait ou certainement. L’adverbe définitivement signifie pour toujours. On l’emploie pour une décision concernant l’avenir et sur laquelle on ne reviendra pas. Est définitif un dommage causé à un objet devenu irrécupérable, qu’on n’utilisera jamais plus. On ne peut pas en dire autant du fait de promettre d’être à un rendez-vous, dont l’échéance est soumise à des hasards qui peuvent nous empêcher de nous y présenter, ni d’y être vraiment arrivé à l’heure, puisque la portée du geste ne dépasse pas le moment où il est posé. En français, il n’y a de définitif que ce qui concerne un avenir certain. Quand ils prennent la résolution de ne plus céder à la tentation, bien qu’ils puissent souhaiter tout à fait réussir, les alcooliques savent que leur décision n’est pas définitive…
En matière de sentiment et de volonté, il est d’ailleurs une autre expression pernicieuse, qu’on ne devrait pas utiliser : la déclaration fautive de tomber en amour (to fall in love), même si on a l’impression d’avoir été emporté malgré soi; mais il est possible de tomber amoureux, tout comme on ne dirait pas tomber en maladie, mais tomber ou devenir malade. Ce n’est pas dans l’amour qu’on tombe, mais dans les bras de l’autre, en espérant d’habitude qu’on saura faire la différence entre ses propres désirs et ceux de l’autre, et en espérant que ce soit définitif, mais sans peut-être en être sûr jamais.