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L’interrogation
Parmi les particularités du français parlé au Québec, la plus remarquée est sans doute celle du tu des questions. Pour en comprendre l’origine, il faut cependant distinguer le tu viens-tu? et le tu’suite, lequel dérive du tout de suite en deux étapes de raccourci. Les sonorités parentes D et T sont en effet souvent confondues quand elles se suivent dans le discours, la force du Tconduit dans ce cas-ci à un toute suite, puis à un tute suite, avec la finale encore plus brève du tu’suite.
Notre tu de l’interrogation, quant à lui, vient de plus loin dans le jeu des sonorités. Dans le temps aussi, d’ailleurs, puisque la forme originale du ne voilà-t-il pas (appuyant un fait surprenant) est attestée comme sous la graphie d’un voilà-ti pas depuis bien avant Molière, qui l’utilisait dans ses pièces au XVIIIe siècle. Il dérivait aussi en v’la-ti pas, qu’on retrouve plus tard sous la plume de divers auteur.es français, dont Maupassant, soucieux de faire écho à la langue parlée populaire. Mais on l’utilisait aussi en Picardie et en Normandie, à l’époque où certaines gens sont venus* en Nouvelle-France, et chez nous, c’est entre autres chez Vigneault, dans sa « Danse à Saint- Dilon » qu’on en trouve l’usage dans son « Les mardis puis les jeudis, ça ferait-ti ton bonheur? ». On comprendra ensuite le passage à ça ferait-tu ton bonheur?, puisque des linguistes considèrent que la haute fréquence des questions utilisant le tu a conduit à cet ultime glissement, typique au Québec, de la mécanique de l’abréviation coutumière.
Quand il est d’ailleurs question de s’interroger soi-même, au lieu d’utiliser un suis-je, littéraire, on dit plutôt ch’us-tu censé savoir toute? Et comme c’est souvent à une seule autre personne qu’on pose des questions, on pourra en arriver à des sommets tels tu t’es-tu senti détendu tu’suite?
Ainsi devenu neutre après avoir perdu toute référence à la deuxième personne du singulier, on retrouve notre tu avec toutes les autres personnes grammaticales. Le Il (Ton tchomme va-tu venir nous aider dimanche?), le Elle (Ta blonde est-tu contente de son nouveau char?), le On (On s’en est-tu assez bien sorti à ton goût?). Plus rare, on l’entend quand même avec le Nous (Nous l’avons-tu décidé ensemble, oui ou non?) et, encore plus rarement avec le Vous (Vous avez-tu parlé longtemps?)
En matière de questionnement, on peut comparer ce phénomène avec celui du où est-ce que?, lui aussi abrégé dans où s’que tu t’en vas; et dont une forme courante ira jusqu’à se contenter de où s’tu t’en vas de même? En parenté semblable, et en partie mentionné dans la chronique de juillet dernier, le qu’est-ce que tu veux devenu souvent qu’est-ce tu veux produira un magnifique qu’est-ce tu veux-tu qu’on fasse de tsa?
* Qu’on ne s’étonne pas de voir ici gens accompagné par le féminin certaines, puis par le masculin venus. Les adjectifs qui précèdent gens se mettent au féminin (les bonnes gens) et ceux qui le suivent au masculin (les gens généreux).
** Gilles VIGNEAULT. Tenir paroles, vol. 1, Nouvelles Éditions de l’Arc, 1983