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Somptueux piano
Sylvie Prévost – Après Toronto, avant Chicago, Prévost ! – Voilà comment a plaisanté le président de Diffusions Amal’Gamme en présentant le concert. N’empêche qu’il a bien raison. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir accueillir un pianiste de ce calibre. Le programme a dessiné une sorte de boucle, partant et aboutissant au Romantisme, en passant par le tout début du XXe siècle. Il a baigné de façon générale dans une atmosphère tragique qui répond bien à notre époque troublée.
L’Arabesque est une pièce qui mêle tendresse et nuages menaçants. Elle a été interprétée avec une merveilleuse fluidité et beaucoup de caractère. L’emploi de la pédale est parfait : juste ce qu’il faut pour tempérer l’aspect percussif du piano, mais rien pour brouiller le discours. La pièce de Liszt a repris le sens du drame avec beaucoup d’aplomb, sans demi-mesure, mais en laissant tout de même des plages plus intérieures, du genre qui permet aux spectateurs d’entrer en eux-mêmes et d’entendre leurs propres drames s’exprimer par les doigts d’un autre.
Brahms, au cœur plus grand que nature, a particulièrement été bien servi. Son opus 118 commence par un Intermezzo passionné, puis un second serein un brin mélancolique. Interprété sans rubato excessif, le pianiste nous a laissés goûter les mélodies sans jamais nous heurter. La Ballade qui suit est jouée avec beaucoup d’énergie, comme le demande le compositeur, mais sans agressivité. Il est facile de se perdre dans le cours sinueux de la pensée de Brahms, mais Di Cristofano ne nous laisse aucunement nous égarer. La musique parcourt un chemin qui semble tout naturel.
Nous avons ensuite plongé dans une œuvre de jeunesse d’Alban Berg, dont la parenté avec le travail de Brahms apparaît soudain évidente. Nous y retrouvons le même profond sens du drame, traversé par de courtes périodes d’apaisement, le tout imprégné d’une immense tristesse. Les accents plus modernes de cette pièce ont pu en rebuter certains, mais tout de même ! Elle a été écrite il y a plus de 100 ans… Il est à peu près temps qu’on la joue, qu’on l’écoute, qu’on l’apprécie. Les pièces de Rachmaninoff qui ont suivi sont aussi des œuvres de jeunesse, d’une forme plus convenue, laissant entendre un bel après-midi d’été. Di Cristofano obtient ici des sons légers comme des papillons, dosage parfait du toucher sur un piano qu’il ne connaît pas tant !
Le concert s’est achevé par Chopin, sa Polonaise-Fantaisie, qui n’a pas grand-chose à voir avec une polonaise, sauf pour la brillance. On salue la complexité des harmonies, les brisures de rythme, et la virtuosité affichée par Di Cristofano dont le jeu est sans faille.
Un superbe concert, un merveilleux après-midi.
Le dimanche 10 mars 2024 : Antonio Di Cristofano
Antonio Di Cristofano, piano ; R. Schumann, Arabesque en do majeur, op. 18; F. Liszt, Aubade ; J. Brahms, Klavierstucke, op. 18, nos 1,2,3; A. Berg, Sonata, op. 1 ; S. Rachmaninoff, Prélude, op. 23, no 4 ; S. Rachmaninoff, Élégie, op. 3 ; F. Chopin, Polonaise-Fantaisie, op. 61.