En mémoire des douze patriotes pendus 

Pierre-Rémi Narbonne, peintre et huissier, amnistié en 1838, il reprend les armes et fut pendu le 15 février 1839; Charles Hindelang, nommé général de l’armée de la résistance, fut arrêté et condamné le même jour le 22 janvier 1839 dans un simulacre de cours martiale et pendu le 15 février 1839; Amable Daunais, cultivateur, gracié une première fois en 1837, reprit les armes et fut pendu à l’âge de 21 ans; François-Marie-Thomas de Lorimier, arrêté le 12 novembre 1838, il fut condamné à mort le 20 décembre et pendu le 15 février 1839; et François Nicolas, instituteur, arrêté le 18 janvier 1839 et pendu le 15 février 1839.
Daniel Machabée
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Quand l’impérialisme britannique s’abreuve du sang des justes révoltés

Daniel Machabée – Lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur sécurité future.

Préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis

Les Rébellions de 1837-1838 sont un événement crucial dans notre histoire nationale. Résultat d’une crise autant politique qu’économique, l’aboutissement tragique de ces troubles façonna notre identité nationale en enlevant aux Canadiens français la volonté d’exprimer les idées de liberté pendant de nombreuses décennies et en cimentant la société autour du socle inébranlable des valeurs de l’Église catholique. Les Rébellions sont le résultat d’une triple crise. D’abord sociale entre la majorité canadienne-française et la minorité britannique; puis politique, alors que le Parti patriote demandait inlassablement le contrôle des budgets et la responsabilité ministérielle contre un exécutif abusif aux mains du gouverneur britannique, et, enfin, économique, alors qu’une grave famine sévit depuis le début des années 1830 dans le Bas-Canada appauvrissant les agriculteurs et les habitants ruraux, forçant ceux-ci à appuyer les revendications de Louis-Joseph Papineau et du Parti patriote.

Au printemps 1837, le Parlement britannique répond aux demandes du Parti patriote qui avait envoyé à Londres une délégation afin d’expliquer les 92 Résolutions. Cette réponse est sans équivoque : c’est non à toutes les demandes. Ce document, nommé les 10 résolutions Russell, rejette définitivement les réformes proposées par la Chambre d’assemblée du Bas-Canada et plonge la colonie dans une crise sans précédent. D’un côté comme de l’autre, devant l’impasse, les patriotes et les bureaucrates s’arment.

Les affrontements de 1837

Fort de l’appui du clergé de Montréal, le pouvoir colonial mobilise l’armée et interdit les assemblées du Parti patriote. Malgré cela, les Patriotes se réunissent autour de Montréal et haranguent les foules. Louis-Joseph Papineau, favorable à une solution pacifique, perd le contrôle des événements lors de l’Assemblée des Six-Comtés, alors que la lutte armée devient inévitable sous les discours enflammés des frères Nelson. Dans ce climat de violence croissante, les premiers affrontements éclatent à Montréal entre l’association de loyalistes radicaux du Doric Club et des patriotes de la branche armée du parti, Les Fils de la liberté.

Afin de prévenir l’insurrection, le gouverneur Gosford lance des mandats d’arrestation contre 26 dirigeants patriotes accusés de haute trahison, déclare la loi martiale et suspend la Constitution du Bas-Canada. Pour faciliter la capture des chefs patriotes et écraser un éventuel soulèvement armé, le commandant des troupes britanniques, John Colborne, envoie ses troupes dans le Haut-Richelieu et dans le comté des Deux-Montagnes. Les patriotes remportent la première bataille à Saint-Denis, mais sont défaits tout de suite après à Saint-Charles, Saint-Eustache et Moore’s Corner. Des centaines de patriotes sont arrêtés, tandis que beaucoup d’autres se réfugient aux États-Unis, au Vermont et dans l’État de New York. Parallèlement à la violence des formes armées britanniques, les volontaires anglophones exercent une importante répression dans les villages qui se sont soulevés. Ainsi, le 15 décembre 1837, le major Townshend, en provenance d’Argenteuil, se dirigeant vers Saint-Benoît avec 150 soldats réguliers et 300 à 400 volontaires loyalistes, notamment le Carillon Saint Andrews Volunteers Corps, donne l’ordre d’incendier le village malgré qu’il ait déposé les armes. Townshend écrit lui-même un rapport au colonel Gore le 18 décembre 1837 : « Avant mon départ de Grand-Brûlé, on a mis le feu à presque toutes les maisons de la ville, ainsi qu’à l’église, à la maison du curé, etc. Je n’ai épargné aucun effort pour sauver tout ce qui pouvait l’être, mais il était impossible de réfréner les irréguliers auxquels nous avons fait appel, et qui ont toujours été, selon moi, les instruments du châtiment. Ce sont eux aussi qui ont incendié deux maisons sur la ligne de marche. » 89 bâtiments furent brûlés et les volontaires n’ont jamais été punis pour le pillage du village et le viol de nombreuses femmes.

Les affrontements de 1838

Exilés aux États-Unis, les patriotes se réunissent à Middlebury au Vermont pour organiser une riposte. Le 2 janvier, sous la direction de Robert Nelson, ils conviennent de s’emparer du Bas-Canada par les armes. La République du Bas-Canada est déclarée. Papineau, en désaccord avec la stratégie, sera écarté. Au cours des premiers mois de 1838, l’association militaire secrète des Frères chasseursest fondée et on recrute des combattants, malgré le refus des États-Unis d’appuyer les patriotes et de leur fournir des armes. En mai, lord Durham arrive à Québec pour mener une enquête sur le conflit en cours. Il fait déporter huit patriotes aux Bermudes et interdit le retour au pays de 16 autre, dont Papineau.

En novembre, les Frères chasseurs lancent leur offensive coordonnée avec celle des rebelles du Haut-Canada. Désordonnés et mal équipés, les patriotes sont défaits par des loyalistes de Odelltown et de Lacolle. Les pertes sont lourdes : les patriotes comptent 50 morts et autant de blessés. La répression qui suit ces échecs est violente : Beauharnois est brûlé par les Glengary volunteers (des Ontariens d’origine écossaise), des centaines de patriotes sont emprisonnés. 58 d’entre eux sont exilés en Australie et 12 sont exécutés. Le 19 novembre 1838, 753 patriotes sont en prison, dont 99 sont condamnés à mort. Adam Thom, l’éditorialiste du Montreal Herald, réclame des exécutions immédiates : « Il serait ridicule d’engraisser cela tout l’hiver pour le conduire plus tard à la potence. »

Les 12 pendus des Rébellions

Colborne ordonne donc l’exécution publique de 12 patriotes à la prison du Pied-du-Courant à Montréal, même si la sentence de la majorité des condamnés à mort a été commuée. Voici le nom des victimes de l’ignominie coloniale britannique, dont l’Histoire a un devoir de mémoire à perpétuité : Joseph-Narcisse Cardinal, 30 ans, notaire et père de cinq enfants, pendu en 1838; Joseph Duquette, 22 ans, pendu pendant vingt minutes le 21 décembre 1838, malgré les appels de grâce de la foule provoqués par la durée du supplice; Pierre-Théophile Decoigne, âgé de 27 ans et notaire, pendu le 18 janvier 1839; François-Xavier Hamelin, cultivateur de 23 ans, pendu le 18 janvier 1839; Joseph-Jacques Robert, cultivateur de 54 ans; Amable Daunais, cultivateur, gracié une première fois en 1837, reprit les armes et fut pendu à l’âge de 21 ans; Ambroise Sanguinet, cultivateur de 38 ans, ruiné et volé par le tyran Craig, il combattit pour obtenir justice et fut pendu le 18 janvier 1839; Charles Sanguinet subit le même sort que son frère; François-Marie-Thomas de Lorimier, arrêté le 12 novembre 1838, il fut condamné à mort le 20 décembre et pendu le 15 février 1839 en s’écriant : « Vive la liberté ! Vive l’indépendance ! »; Pierre-Rémi Narbonne, peintre et huissier, amnistié en 1838, il reprend les armes et fut pendu le 15 février 1839; François Nicolas, instituteur, arrêté le 18 janvier 1839 et pendu le 15 février 1839 en déclarant : « Je ne regrette qu’une chose, c’est de mourir avant d’avoir vu mon pays libre, mais la providence finira par en avoir pitié, car il n’y a pas un pays plus mal gouverné dans le monde. »; Charles Hindelang, nommé général de l’armée de la résistance, fut arrêté et condamné le même jour le 22 janvier 1839 dans un simulacre de cours martiale et pendu le 15 février 1839.Les autorités britanniques ne se sont jamais excusées pour les atrocités commises par l’armée d’occupation britannique et les volontaires loyalistes sur les francophones, alors que leur mouvement de révolte contre l’oppresseur était légitime. Quand La loi d’indemnisation fut votée en 1849 par la législature du Canada-Uni afin d’indemniser les victimes des Rébellions, les orangistes ont mis le feu au Parlement de Montréal pour protester contre cette mesure, alors que celle-ci ne visait pas du tout les familles des patriotes. Aujourd’hui, malgré la Journée nationale des Patriotes, le mouvement de résistance est mal connu de la population et mériterait qu’on s’y arrête davantage pour sa portée historique, de l’impact sur notre identité nationale et pour rappeler tout le mépris des Britanniques pour les droits des francophones. Car ne l’oublions jamais : l’histoire du Canada en est une de mépris et d’une tentative d’assimilation permanente des francophones à cet impérialisme anglo-saxon.

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