Le déshonneur de ma fidélité

Paul Blobel est un officier supérieur de la SS, chef pendant la Seconde Guerre mondiale du commando spécial (SonderKommando) 4a et du commando spécial 1005 des Einsatzgruppen.
Daniel Machabée
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Le serment des soldats SS

Daniel Machabée – « Je te jure, Adolf Hitler, Führer et Chancelier du Reich, fidélité et vaillance. Je te promets solennellement, ainsi qu’à ceux que tu m’as donnés pour chefs, obéissance jusqu’à la mort, avec l’aide de Dieu. » (serment des soldats SS)

Le 18 décembre 1940, alors que l’Allemagne noie l’Angleterre sous les bombardements intensifs, Adolf Hitler ordonne à ses généraux de se préparer à l’invasion de l’URSS afin de détruire ces sous-hommes bolcheviques et d’étendre l’espace vital allemand à l’est. Six mois plus tard, la Wehrmacht franchit la frontière sans déclaration de guerre et se lance à la conquête et à la destruction de l’URSS, transgressant ainsi le pacte de non-agression signé en août 1939 entre les deux pays : c’est l’opération Barbarossa. Cette invasion, vue d’abord comme une bénédiction par les populations locales soumises à l’autoritarisme soviétique, va bien vite s’accompagner d’une politique d’extermination sauvage et barbare sans précédent de la population russe en général, des minorités juives en particulier, perpétrée par les Einsatzgruppen, les unités mobiles d’extermination allemande. Retour sur ces tristement célèbres escadrons de la mort qui ont tué de toutes les façons inimaginables 15 millions de civils en URSS. 

La création de la Schutzstaffel

Fondée en avril 1925 après le putsch manqué de la Brasserie afin d’assurer la protection rapprochée d’Adolf Hitler, la Schutzstaffel (la SS) devient rapidement une des principales organisations du régime national-socialiste, devenant même un genre d’État dans l’État. En 1928, la SS est limitée à 280 hommes et demeure subordonnée à la Sturmabteilung (la SA), l’organisation paramilitaire du parti nazi, communément appelée « les chemises brunes. » En 1929, Hitler nomme Heinrich Himmler à la tête de la SS qui va en faire une redoutable organisation militaire. 

Les débuts de la SS sont modestes et la discipline de ses membres est même appréciée de la police. Le 28 août 1930, la SS est utilisée pour la première fois pour protéger Joseph Goebbels contre les violences exercées à son endroit par la SA lors d’un rassemblement politique au palais des sports de Berlin. Alors que Goebbels et ses collaborateurs parviennent à s’échapper, une poignée de SS se font tabasser par des SA. Cet événement sera à l’origine de la devise des SS qui ont démontré une « fidélité imperturbable » au Führer. 

En 1931, alors en pleine crise économique, le nombre de membres atteint 15 000 hommes. Pour se distancer de la SA, Himmler met en place des critères de sélection basés sur la pureté aryenne. À l’automne 1932, Himmler demande à Hugo Boss de dessiner un nouvel uniforme noir pour la SS qui les identifiera à jamais comme étant les commandos de la mort. 

Quand Hitler accède au pouvoir le 30 janvier 1933, la SS compte alors 52 000 membres, contre trois millions pour la SA.  

Les différentes branches de la SS

La SS n’est pas seulement une branche militaire de la Wehrmacht. C’est également la redoutable police allemande et ses nombreuses sections. Il y a notamment la tristement célèbre Gestapo, littéralement police secrète d’État, qui deviendra, sous l’impulsion d’Himmler, une redoutable police politique destinée à éliminer les opposants du Reich en Allemagne et dans les territoires occupés. En outre, les camps de concentration et les camps d’extermination sont directement sous son autorité. Créé en 1931 par Himmler, le Sicherheitsdienst (le SD) devient en 1934 le service de renseignement du parti nazi et de la SS. Il est intégré en 1939 au Reichssicherheitshaupamt (RHSA) dirigé par Heydrich et devient la police criminelle. Enfin, il y a les services de police généraux qui sont regroupés dans l’Ordnungspolizei.

Il y a ensuite l’Allgemeine SS, créée en 1934, qu’on pourrait nommée la SS générale, qui regroupe 250 000 hommes en 1939. C’est la branche qui regroupe les unités politiques, administratives et de police de la SS. Cette branche était initialement celle qui comptait le plus d’effectifs, mais elle fut dépassée par la Waffen-SS, la branche militaire. De nombreux membres de l’Allgemeine sont affectés à la garde des camps de concentration et servent souvent dans les unités à tête de mort (les SS-Totenkopfverbände). 

La branche la plus redoutable et redoutée demeure celle des Waffen-SS qui est la composante militaire de la SS. Créée en 1940, elle participe alors à la campagne de France et acquiert en 1941 la réputation d’être combative et féroce sur le champ de bataille. En outre, elle sera le bouclier allemand lors du débarquement de Normandie et le fer de lance de la dernière offensive allemande lors de la bataille des Ardennes. Tout au long de son histoire, la Waffen-SS reste tristement célèbre par le nombre des crimes de guerre, d’exactions et de tueries dans les pays envahis. À la fin du conflit, son effectif est supérieur à 900 000 hommes et se distingue par l’abandon des critères raciaux de sélection de la SS.

Les Einsatzgruppen, la Shoah par balles et l’Aktion1005

Ce sont les unités mobiles d’extermination. Elles étaient chargées de l’assassinat systématique des opposants réels ou supposés des nazis : « Notre force tient à notre rapidité et à notre brutalité. L’objectif de la guerre ne sera pas d’atteindre une ligne donnée, mais d’anéantir physiquement l’adversaire. C’est pourquoi j’ai disposé — pour l’instant seulement à l’Est — mes unités à tête de mort; elles ont reçu l’ordre de mettre à mort sans merci et sans pitié beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants d’ascendance et de langue polonaise. C’est la seule manière pour nous de conquérir l’espace vital dont nous aurons besoin1. » 

 Ces unités agissaient surtout à l’arrière du front de l’Est et obéissaient à la RSHA. Chaque unité était divisée en sous-groupe appelé Einsatzkommando. Ce sont elles qui pourchassaient les habitants des pays envahis, qui « épuraient » les villages : « Au bord de la fosse, il y avait un escalier sommaire, en terre. Les Juifs se déshabillaient, tabassés par les gardes. Complète-ment nus, famille après famille, les pères, les mères et les enfants descendaient calmement les marches et s’allongeaient, face contre terre, sur les corps de ceux qui venaient d’être fusillés. Un policier allemand, Humpel, avançait, debout, marchait sur les morts et assassinait chaque Juif d’une balle dans la nuque. […] Régulièrement, il arrêtait les tirs, remontait, faisait une pause, buvait un petit verre d’alcool puis redescendait. Une autre famille juive, dénudée, descendait et s’allongeait dans la fosse. Le massacre a duré une journée entière. Humpel a tué tous les Juifs du village, seul2. »

Certains généraux de la Wehrmacht sont dégoûtés des gestes commis par ces commandos : « Les sentiments de la troupe envers la SS et la police oscillent entre la répulsion et la haine. Tous les soldats sont pris de dégoût et de répugnance devant les crimes commis3. » Supportés par Reinhard Heydrich, ces commandos vont entreprendre le nettoyage ethnique lors de l’invasion de l’URSS pour épurer l’espace vital en effectuant les massacres de masse et amorcer la Shoah par balles. Ces massacres commencent deux jours après l’invasion dans la ville de Garsden sur la frontière. Ils ne doivent pas laisser de traces : « Les tentatives de nettoyage de la part des éléments anticommunistes ou antisémites dans les zones qui seront occupées ne doivent pas être gênées. Au contraire, il faut les encourager, mais sans laisser de traces, de sorte que ces milices d’autodéfense ne puissent prétendre plus tard qu’on leur a donné des ordres ou [fait] des concessions politiques. […] Pour des raisons évidentes, de telles actions ne seront possibles que pendant la phase initiale de l’occupation militaire4. »

Comme la Shoah par balles n’était pas assez rapide, le commandant du sonderkommando Paul Blobel, qui a organisé le grand massacre de Babi Yar en 1941, sera le premier à utiliser un camion à gaz pour exterminer la population. 

Le 28 février 1942, sous le déluge de plaintes de soldats qui voyaient des cadavres juifs partout, Himmler décide de développer les fours crématoires et d’effacer les exécutions de masse à l’Est sous la responsabilité de Blobel. Pendant deux ans, sa mission était de déterrer les cadavres et d’éliminer toutes les traces des massacres de masse perpétrés par les SS en URSS. En 1943, 123 sites sont ainsi désignés pour déterrer les corps, brûler les corps, réduire les os en cendres. 

L’invasion de l’URSS aura dépassé en horreur tout ce que l’humanité pouvait imaginer jusque-là. Fidèles à leur serment, les SS fanatisés par l’idéologie raciste d’Adolf Hitler ont été l’instrumentalisation du mal absolu, entachant ce serment d’un déshonneur indélébile.

    1. Discours d’Hitler le 22 août 1939 à es généraux en préambule à l’invasion de la Pologne. 

    2. Luba, témoin visuel du massacre de la population juive du village de Senkivishvka en juin 1941.

    3. Johannes Blaskowitz, cité dans Guido Knopp : « Les SS : Un avertissement pour l’Histoire, Paris, 2006. 

    4. Reinhard Heydrich, 29 juin 1941.

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