Mots et mœurs

Gleason Théberge
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Aire d’erre

Gleason Théberge – Dans toutes les langues, sauf en espagnol, passer de la parole au texte nécessite de la prudence, et ce n’est d’ailleurs pas seulement en français qu’une certaine gymnastique est nécessaire quand on veut écrire ce qui est dit ou prononcer ce qui est écrit.

En anglais, par exemple, les lettres gh équivalent à un g dans ghetto ou à un f dans rough, et demeurent muettes dans trough. En français, le son R employé seul dans quelques expressions conduit d’ailleurs à trois transcriptions, qu’il faut savoir utiliser correctement pour éviter que le lecteur ne doive s’en référer au contexte pour en comprendre le sens. 

L’aire, par exemple, désigne une portion de terrain (une aire peut être mesurée en are métrique ou en acre anglo-saxonne) et décrit par extension un domaine abstrait (l’aire sémantique inclut l’ensemble des mots apparentés quant au sens); une aire, c’est aussi plus spécifiquement le nid d’un oiseau de proie. 

Parente du verbe errer, l’erre, quant à elle, évoque une manière de se déplacer ou ce qui reste de capacité de mouvement d’un objet, d’un navire, quand ce qui l’a mis en mouvement cesse de le faire. C’est l’erre d’aller d’un véhicule sans moteur qui a pris son allant à partir du haut d’une pente. 

S’ajoute à ces deux mots, l’air, que nous respirons ou qui relève de la musique, et celui de l’apparence physique ou abstraite. Prendre l’air ou monter dans les airs concernent le mélange gazeux et l’atmosphère que nos comportements humains altèrent. Jouer ou entendre un air impliquent les mélodies qui donnent le goût du bonheur en envahissant le lieu où nous sommes et nous faisant parfois vibrer selon la qualité et l’intensité des sons. 

Quant au domaine de l’apparence, il faut souligner que certains adjectifs deviennent invariables quand ils servent d’adverbe. Dans l’épreuve, par exemple, on incitera quelqu’un à tenir bon, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un groupe; de même, on dira d’une fleur qu’elle sent bon, pour n’accorder bon que s‘il retrouve sa qualité habituelle de vanter les capacités de quelqu’un : auquel cas on dira que telle personne est bonne en mathématique ou que les enfants espiègles sont bons quand il s’agit de jouer des tours. Ce principe s’applique au mot air désignant l’apparence, qu’on pourra retrouver comme adverbe quand on dit d’une personne qu’elle a l’air fatiguée, où c’est personne qui entraîne l’accord de l’adjectif fatiguée. Une formulation contraire fera plutôt dominer le mot air, quand on dira d’un groupe de gens qu’ils ont un air sympathique.

Déclaration qui clôt dans les colonnes de ce journal qui lui servent d’aire une chronique qui y trouve son erre.

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