Propos familiers

Gleason Théberge
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Gleason Théberge – Dans la relative sécurité habituelle des lieux publics, malgré la hâte et l’anonymat des tâches, nos rencontres nous permettent souvent de parler spontanément à des personnes inconnues. Et non pas pour leur adresser des problèmes, comme le veut l’effroyable anglicisme, mais pour les remercier plutôt, de nous avoir ouvert ou retenu une porte, par exemple. Leur proposer un chariot d’épicerie dont nous venons de vider le contenu. Offrir de l’aide à qui est encombré. Commenter avec humour le temps qu’il fait ou le choix d’une marchandise appréciée. Féliciter un parent à propos du beau comportement de son enfant. Voire, faire appel aux proverbes et parler pour parler, à la manière dont Gilles Vigneault évoque les propos du quotidien. Mais ce qu’il décrit, c’est surtout l’importance de saluer plus longuement les amis et connaissances rencontrées par hasard. Avoir avec elles et eux l’impression de s’être vus la veille, même si nos derniers échanges dataient de nombreux jours, plusieurs mois.

D’ailleurs, même avec des inconnus, pourvu que notre allure soit convenable, des propos tout aussi spontanés entraînent généralement des réactions plaisantes où s’exprime le respect et fuse parfois l’humour réciproque. Comme moi, vous pratiquez sans doute aussi, cet échange avec celles et ceux qui vous accueillent à leur caisse dans les établissements qui considèrent encore que leur présence est favorable à leurs affaires. 

Cette atmosphère est cependant moins fréquente dans les centres commerciaux, encore appelé centres d’achats alors que ce sont des commerçants qu’on y fréquente et que l’achat est l’acte qu’on y pose. Mais de nombreuses tables des zones de restauration sont régulièrement occupées par des groupes discutant à l’aise. Certains d’entre nous se rappelleront d’ailleurs les plus nombreux magasins de village ou de quartier où bancs, chaises et même crachoirs, comme dans les gares, permettaient aux hommes surtout de rester en n’ayant qu’à payer de temps en temps une boisson gazeuse. Ignorant les méfaits du tabac alors insoupçonnés et la disparition de ces chaleureux lieux de rencontre, les conversations étaient lentes et enfumées. Et si elles incluaient parfois quelques évocations négatives à propos de voisins ou de personnages publics, c’était surtout une réelle amitié qu’on y sous-entendait.

La venue d’étrangers y changeait les conversations, tout comme parfois dans nos Laurentides, les fins de semaine, mais toutes nos salutations brèves sont autant d’occasions de nous dire les uns aux autres. Et sans avoir à répondre à ses informations et chroniques, le dépôt de notre Journal des citoyens en casier ou sa présence dans nos commerces de proximité offre encore des retrouvailles familières. Perdrions-nous contact avec ce que nous sommes, sans lui ? 

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